Identité et conflit : entre régulation émotionnelle et cohérence de soi

Identité et conflit : entre régulation émotionnelle et cohérence de soi

Dans cette nouvelle série d’articles, nous traiterons de l’identité avec, notamment, le concept du Soi. La construction identitaire est un phénomène complexe et multidimensionnel propre à chaque être humain. L’identité paraît souvent floue et confondue avec la personnalité, nous montrerons donc les distinctions entre ces deux concepts. Notre identité et la connaissance que nous avons de soi permettent de développer des stratégies identitaires. Dans les derniers articles de cette série sur l’identité, nous aborderons la notion de cohérence éthique et de son lien avec la quête de sens. Enfin, nous finirons cette série sur l’identité dans un contexte organisationnel.

Dans ce nouvel article de notre série sur l’identité, je vous propose de parler des conflits identitaires. Nous parlerons particulièrement de régulation émotionnelle et de cohérence de soi à travers les notions de relations intra et interpersonnelles. Ces relations renvoient notamment à des formes d’intelligences qui permettent de développer une intelligence émotionnelle. Cette intelligence émotionnelle, elle nous permet de réguler nos émotions. Si nous avons déjà évoqué l’importance des valeurs dans le premier article de cette série, nous nous concentrerons ici sur l’importance de l’alignement valeurs-actions.

Face au conflit identitaire, une question de relation intra-interpersonnelle

Dans sa thérapie par le sens (ou logothérapie), Viktor Frankl (1988) parle de l’importance des relations que nous entretenons avec nous-même et le monde. Ces relations sont décrites par les notions relations intra-personnelles et relation inter-personnelles.

La notion relations interpersonnelles décrit la qualité des relations qu’un individu arrive à établir et à entretenir avec autrui dans ses différentes sphères de vie. Ces relations, elles traduisent simplement la capacité d’un individu à faire preuve de sensibilité et d’empathie. Elles montrent également la capacité d’un individu à interagir avec succès dans des groupes différents.

La relation intrapersonnelle, c’est l’aptitude à avoir conscience de ses émotions, ses sentiments, ses idées, ses pensées et à les comprendre (Bar-On, 2006). Les dimensions qui en découlent sont la conscience émotionnelle, l’affirmation de soi, l’estime de soi, la conscience de soi et le respect de soi.

Les différentes sortes de conflit sur l’identité

Dans notre cadre, l’internalisation de pressions intra et interpersonnelles peut provoquer des conflits identitaires. Ces conflits sont définis comme la conséquence d’une frustration vis-à-vis de nos objectifs ou de valeurs en concurrence (Lyamouri-Bajja et Al., 2016). Il existe plusieurs sortes de conflits :

  • les conflits motivationnels, où l’individu est dans l’incapacité de prendre une décision ;
  • le conflit moral qui se pose en termes d’éthique ;
  • les conflits liés à soi. Ils apparaissent lorsqu’un écart entre notre réalité et nos ambitions est ressenti.

Pour répondre à ces conflits, il existe plusieurs travaux sur la relation intrapersonnelle en tant que processus de redéfinitions de soi. Ce procédé influe sur notre capacité à croire de nouveau en nous et sur notre manière à percevoir nos actions comme un mouvement « vers  l’avant » (drive to move forward). Asad (2014)  souligne bien l’importance de conserver un sentiment d’espoir et de développer un nouveau sens à la vie autour de nouvelles aspirations, de nouvelles activités, de nouveaux buts. Asad (2014) distingue quatre dimensions propres à ce rétablissement :

  • notre relation à l’espace temporel ;
  • la redéfinition et l’expansion du soi ;
  • le pouvoir d’agir (empowerment) ;
  • la relation avec les autres (relations interpersonnelles).

Ces quatre dimensions se déploieraient mutuellement dans l’expérience que le sujet a de lui-même. Également dans l’expérience qu’il a des autres et du monde. Cette transformation qu’opère une personne, elle concerne des aspects personnels (notre relation à nous-même), et des aspects interpersonnels (qui sont liés à notre environnement).

Le développement d’une approche régulatrice de nos émotions

Dans cette partie, nous nous attarderons sur les intelligences multiples de Gardner. On parlera particulièrement de ce qu’il appelle l’intelligence intra et l’intelligence interpersonnelle. Le développement d’une approche basée sur l’intelligence émotionnelle serait une éventuelle solution face aux conflits identitaires en tant que régulatrice de nos émotions.

L’approche de Gardner (1997, 2004) avec les intelligences multiples favorise une meilleure compréhension du potentiel et de la personnalité d’un individu. Pour lui, la personnalité, c’est le fait de se conformer aux normes sociales. Cette conformité, elle entraîne par conséquent une adaptation de l‘individu vis-à-vis de la société. La potentialité, elle, elle comprend des formes d’intelligences multiples indépendantes de notre personnalité.

Ces intelligences multiples et leurs développements montrent le potentiel que nous pouvons faire preuve. Il apparaîtrait que huit formes d’intelligences sont présentes et réagissent chacune comme des dispositifs de traitements aux différentes informations et situations vécues par l’individu (Gardner 1997 ; Richez, 2009). Ces huit formes, ce sont l’intelligence linguistique, l’intelligence logico-mathématique, l’intelligence spatiale, l’intelligence kinesthésique, l’intelligence naturaliste, l’intelligence musicale.

L’intelligence intrapersonnelle et l’identité

Parlons maintenant plus en détail de l’intelligence intrapersonnelle et de l’intelligence interpersonnelle. Ces deux formes sont regroupées le plus souvent sous le terme d’intelligence émotionnelle (Goleman, 1995, 2003 ; Gardner, 1997, 2004 ; Bar-On, 2006).

L’intelligence intrapersonnelle, c’est la capacité à avoir une bonne connaissance de soi et de nos actions. Et cette intelligence consiste à faire de l’introspection. Elle consiste donc à identifier, à analyser et à anticiper nos propres émotions. Et également à anticiper nos sentiments, nos pensées et nos comportements. Le but ? Orienter sa vie en fonction. Dit autrement : faire des choix en fonction de ce que l’on veut et ce que l’on considère bon, bien et juste.

L’intelligence interpersonnelle, elle permet aussi de résoudre des problèmes sur notre personnalité et de conscientiser nos forces. Mais pas seulement. On conscientisera également nos limites, no valeurs, nos rêves, ou nos manières instinctives de réagir (Gardner, 1997, 2004).

Afin de développer notre intelligence intrapersonnelle, il est nécessaire de savoir prendre du recul sur soi-même et ses besoins. Pour faire cela, il est bon d’apprendre les stratégies comportementales appropriées à chaque situation. Cette expérience permet de favoriser ses apprentissages et d’ancrer le changement d’un individu. Les personnes à forte intelligence intrapersonnelle se connaissent et arrivent à se décrypter pour conduire leurs états émotionnels à la démotivation ou, au contraire, à l’engagement.

L’intelligence interpersonnelle et l’identité

L’intelligence interpersonnelle, c’est ce qui nous permet d’interagir avec le monde extérieur. Elle comprend notre aptitude à entretenir des bons rapports sociaux et à vivre en société. Cette intelligence sociale regroupe également notre empathie, notre capacité d’adaptation et notre aptitude à discerner les intentions et les sentiments d’autrui. Développer ce type d’intelligence, ça consiste à faire évoluer ses habiletés sociales et sa connaissance de l’autre par une meilleure compréhension de ses interactions sociales. En faisant cela, on sera plus à même de collaborer et d’interagir efficacement avec notre environnement (Gardner, 1997, 2004).

Dans ces situations de conflit identitaire, le développement de l’intelligence émotionnelle permet d’inscrire l’individu dans une réflexion sur lui-même. Elle permet également de l’inscrire dans son environnement social et ses interactions. Cette approche, elle produit un mécanisme de protection du fonctionnement cognitif vis-à-vis d’éventuels dysfonctionnements émotionnels (Brun, 2015). Son intérêt est simple. L’individu intelligent émotionnellement est plus capable de réfléchir sur lui-même. Dès lors, il peut s’engager plus rapidement dans un mode de vie en accord avec ses ambitions et ses valeurs (Brun, 2015).

Les recherches sur ce processus de régulation émotionnelle s’orientent aujourd’hui vers cette perspective. Cette régulation provient, notamment, des stratégies d’ajustements des individus ou coping que nous détaillerons en prochain article.

Identité, régulation des émotions et leur impact sur l’intentionnalité et la cohérence de soi

Dans cette dernière partie, nous aborderons les impacts de cette approche régulatrice de nos émotions. Nous le disions précédemment, cette approche consiste à être en accord avec ses ambitions et ses valeurs. Cela se caractérise, notamment, par le fait que nos actions sont en accord avec ces valeurs et ambitions. On parle alors de cohérence de soi.

Les valeurs déterminent le sens  que nous donnons à notre vie, elles orientent et conditionnent nos attitudes et nos comportements. Nous pouvons autant réussir à nourrir nos valeurs qu’aller à leur encontre. Dans ce cas, cela nous procurera une satisfaction ou une insatisfaction (Arnaud et Mellet, 2019).

Impact sur la cohérence de soi

Dans le cadre du travail par exemple, cette source d’insatisfaction, elle peut également se transformer en conflit personnel. Elle peut bien sûr engendrer des risques psycho-sociaux comme le burn-out, le brown-out ou le bore-out. Être en accord avec ses valeurs, c’est une condition importante pour développer cette cohérence de soi. Pourquoi ? Parce que cette cohérence, elle est source de satisfaction, de performance et d’engagement. Elle est aussi source d’épanouissement personnel et professionnel (Huet et Al, 2020).

Savoir clarifier ses valeurs, les nourrir et poursuivre leur évolution apparaît donc comme primordial pour contribuer à notre cohérence personnelle lorsque nous sommes face à l’incertitude dans nos attitudes (Arnaud et Mellet, 2019 ; Huet et Al, 2020). D’autant plus que certaines de nos valeurs ne sont pas issues d’une réflexion sur soi. Elles proviennent plutôt d’une transmission de nos parents et de notre environnement culturel (voir l’article précédent). Il parait donc nécessaire de prendre conscience de nos valeurs dans un parcours continu et y trouver sa cohérence personnelle. D’où je viens ? Comment je me suis construit ? Et quels sont mes objectifs futurs ?

Ce sont autant de questions qui nécessite à l’individu de faire preuve à nouveau de cette approche intra-interpersonnelle afin de diriger sa vie vers la « bonne direction » souhaitée. C’est pourquoi il est parfois nécessaire de « trahir ses valeurs »afin de retrouver un équilibre personnel (Arnaud et Mellet, 2019). Enfin, se tenir à ses valeurs en étant fidèle à soi-même renforce la confiance et l’estime de soi. Pour ce travail, l’autoévaluation de nos valeurs est un bon outil en identifiant nos valeurs fondamentales.

Impact sur l’intentionnalité

En tant que régulateur de nos émotions, le développement de cette approche impacte aussi notre intentionnalité. L’approche intrapersonnelle participe à donner du sens à nos actions et à nos motivations. Cependant, l’interprétation que nous avons de cette approche va être influencée par notre locus de contrôle.

Le locus de contrôle représente les relations de cause à effet que les individus établissent entre l’obtention d’un résultat et leur propre conduite. Il représente aussi la tendance qu’ont les individus à attribuer à eux-mêmes ou à leur environnement la cause des événements de leur vie (Rotter, 1966). Les individus avec un locus de contrôle interne pensent qu’ils contrôlent leur destin. Ils pensent aussi que leurs actions ont un impact sur leur environnement. Ils attribuent souvent leurs performances et leurs résultats à leur propre responsabilité. Au contraire, les individus avec un locus de contrôle externe considèrent les conséquences de leur vie comme résultant de facteurs externes (destin, chance).

Un locus de contrôle interne influence la capacité d’un individu à fournir des efforts et à persévérer dans des comportements source de sens et d’accomplissement de soi. Il participe et il s’inscrit dans la notion d’autonomisation (empowerment) qui est définie comme :

« un processus par lequel les individus acquièrent un plus grand contrôle sur décisions et actions affectant leur santé » (Farnier et Al, 2021).

Conclusion : conflit, identité et résilience

Dans une situation de conflit, l’individu est en mesure de pouvoir développer des stratégies comportementales. Ces stratégies, elles lui permettent de solliciter ses capacités de résilience. L’intelligence émotionnelle et la cohérence de soi sont des solutions aux conflits identitaires. Pourquoi ? Parce qu’elles permettent une régulation de nos émotions tout en développant une certaine capacité à agir, mais aussi une intentionnalité.

Dans ce troisième article de notre série sur l’identité, nous avons brièvement abordé le concept de personnalité. Personnalité, identité, deux notions souvent peu distinguées. Nous reviendrons là-dessus dans notre prochain article, en en parlant à la lumière de deux concepts : les stratégies d’ajustement (coping) et la capacité à agir sur soi (empowerment).

Références

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