Cet article est le premier d'une série consacrée au SENS. Notre point de départ est la Grèce Antique, d'abord avec les philosophes pré-socratiques, ensuite avec Platon puis Aristote. Dans un second temps, nous aborderons la littérature psychologique avec les différentes psychothérapies axées sur le sens comme la logothérapie de Frankl ou encore la thérapie existentielle de Yalom. Enfin, nous traiterons de la question de sens au travail et des différentes pratiques managériales associées. Il en ressortira principalement que le sens est un composé d’éléments cognitifs, intentionnels et affectifs. Bonne lecture à tous et au plaisir d'échanger en commentaires.
Lorsqu’on évoque la Grèce Antique, on parle généralement d’une période débutant aux alentours du VIIIe siècle av. J.C. et se terminant vers le IIè siècle ap. J.C. quand la Grèce passe sous contrôle Romain. En philosophie, cette période est jalonnée de contributions essentielles que nous aborderons de manière non-exhaustive et allant des philosophes pré-socratiques aux stoïciens en passant – évidemment – par Platon et Aristote. Tous ces penseurs ont cherché à comprendre le sens de notre monde ainsi que la raison d’être de l’être humain. En d’autres termes comprendre l’ordre du monde (le cosmos) et la place des humains dans cet ordre. De grands questionnements comprenant certains aspects théologiques les ont conduits à prendre en compte divers éléments cognitifs et intentionnels comme l’usage de la raison ou le caractère déterminé d’un comportement.
L’étude de l’ordre des choses chez les grecs prend la forme – comme dans tous les récits originels – d’une cosmogonie. Les réflexions des grecs partent de ce qui leur est directement intelligible, ce qu’ils voient, sentent et perçoivent : le monde. Nous présentons ici certains éléments de cette cosmogonie : l’âme du monde, le corps du monde, le démiurge et la khora.
L’ordre du monde
Le philosophe pré-socratique Anaxagore, philosophe grec du IVè siècle av. J.-C, fut un des premier à mettre en relation l’intelligence avec la matérialité du monde. Il estime que le monde est régi par le pouvoir de l’intellect. Anaxagore est à l’originie du concept νοῦς signifiant “nous” en grec. Il considère que ce concept est doté d’une connaissance et compréhension globale des choses et possèderait ainsi un pouvoir de décision sur le sort de toute chose. Il décrit ainsi ce pouvoir comme la source de causalité première régissant notre monde. Platon rejoint la pensée Anaxagoréenne sur ce pouvoir de l’intellect en le comparant à l’âme du monde. En effet, comme il l’affirme dans le Timée, l’intellect n’est capable de se rattacher aux éléments corporels que si ces derniers possèdent une âme. Le Timée représente donc un livre sur l’origine et la fabrication du monde. Dans cet ouvrage, Platon énonce divers principes qui lui permettent de rendre compte du cosmos : l’âme du monde, le corps du monde, le démiurge et la khora.
Avec l’idée du « corps du monde », Platon s’inspire directement du « Sphairos » d’Empédocle, un philosophe, poète, ingénieur et médecin grec du Vè siècle av. J.C.. Le Sphairos est l’ensemble constitué par les éléments corporels et l’intellect à partir duquel le démiurge créé l’âme du monde (on retrouve cette distinction chez Platon dans la partition entre monde visible et monde des idées). Pour les platoniciens, le démiurge est le dieu créateur de l’univers. Il confère une âme au corps et assure le mouvement de toute chose. Enfin, la khora, qui représente la mère en grec, renvoie ici à l’idée d’un lieu qui précède à l’ordre du monde mis en place par le démiurge. La Khora préexiste donc aux paradigmes intelligibles.
Platon ajoute dans le Timée que le démiurge ne se contente pas de créer l’âme de ce monde. Il est également à l’origine des âmes individuelles.
Le sens de la vie
Le concept de zôon en grec peut se traduire par “vivant”, c’est-à-dire un être doué d’une âme. Selon Platon, cela évoque notre rapport à l’animal et au divin. L’être humain serait alors associé à la bête par son côté mortel tandis qu’il a en commun avec le divin une réflexion vis-à-vis de l’intelligibilité. L’homme peut donc revêtir à la fois un principe bestial et désirant ainsi qu’un principe divin et intelligible. L’homme selon Platon n’est donc ni unidimensionnel ni linéaire. Il est plutôt l’association de multiples critères laissant la possibilité d’évoluer dans le temps entre :
- Être et Non-être
- Désir et Intelligence
- Bête et Dieu
- Individu et Collectif
- Vie privée et Vie publique
L’âme est le lieu où réside le sens que l’on insuffle dans la vie. La philosophie platonicienne prétend à un équilibre dans l’unité, soit de l’âme individuelle soit de l’âme collective. Cette relation avec l’intelligible et cette recherche d’équilibre et d’unité de l’âme se trouvent principalement dans la pratique de la réflexion. Chez Platon, le pouvoir de nos pensées est rattaché à notre intellect et plus particulièrement à nos connaissances.
L’existence humaine, à l’inverse de l’existence du simple vivant, est celle qui se choisit. Elle est directement influencée par nos choix et nos orientations. Cette latitude envisagée par les grecs implique donc une éthique, c’est-à-dire un régime du bon et du mal. En d’autres mots la nature humaine, parce qu’elle prête sens, est avant tout une question d’éthique.
Pour conclure, il apparaît que la recherche de sens dans la vie est avant tout une question de réflexion et donc le fruit d’éléments cognitifs. Mais cette quête de sens doit s’accompagner aussi d’éléments propres à nos intentions, c’est-à-dire des éléments qui renvoient à la volonté individuelle.
Ces éléments à la fois cognitifs et intentionnels sont influencés par nos choix d’existence et doivent trouver un équilibre entre notre volonté et notre raison en n’omettant pas toute la dimension intelligible et spirituelle de notre monde. Enfin, cet équilibre et ce processus de recherche sur le sens humain se doit d’aspirer vers un bien éthique.
Pour résumer :
- le sens est lié à la relation entre l’individu et le monde ;
- le sens est une caractéristique de la vie humaine ;
- la nature humaine, parce qu’elle est sensée, est avant tout une question d’éthique.
A bientôt pour le prochain épisode !
Euh comment dire…vive la Grèce Antique, un oncle de Pelissanne qui te veut du bien :-). Et félicitation pour ton premier article, la quête du sens tout un programme…a te suivre.
camhi
7 avril 2020
Un grand merci la famille !
De nouveaux articles sont disponibles, n’hésites pas à me dire ce que tu en penses 🙂
Kévin Camhi
29 juin 2020
Merci beaucoup Kévin pour cet article. J’avais envie de choisir « Coaching et recherche de sens en entreprise (du côté collaborateurs et du côté de l’entreprise) » pour mon mémoire de certification mais je me dis que la tâche va être ardue… Depuis les philosophes grecs, la notion de sens n’est elle pas devenue plus une question individuelle, intime et protéiforme au delà d’une aspiration vers un bien éthique ? À te lire.
Joy THORNES
1 mai 2020
C’est moi qui vous remercie d’avoir pris le temps de me lire.
Kévin Camhi
29 juin 2020
C’est moi qui vous remercie d’avoir pris le temps de me lire.
Kévin Camhi
29 juin 2020
En effet, ce dernier a été cité, mais n’a pas été mis en avant dans cet article malheureusement.
Kévin Camhi
29 juin 2020
Ce que je retiens pour ma part et que je retrouve dans un des premiers piliers du coaching c’est l’équilibre entre « volonté et raison »… cela me fait comprendre toute l’importance de la responsabilité et de l’engagement du coaché qu’il est si important de lui préciser au premier entretien, mais aussi l’importance du questionnement pour amener le coaché à réfléchir part lui même …et surtout …la nécessité de ne pas donner de conseils.
Donc waou, merci pour cet article qui m’aide à comprendre l’essence du coaching au regard des philosophes grecs…
Une toute fraîche padawan coach
Nath
11 avril 2020
Merci beaucoup Nath, votre commentaire me réjouit.
En effet, la relation « volonté et raison » font partie des éléments primordiaux dans la recherche du sens.
La volonté serait assimilées aux éléments intentionnels.
La raison aux éléments cognitifs
Puis nous pouvons rajouter les éléments liés à l’affect (émotion + sensation)
Enfin, l’on trouve les éléments spirituels qui comprennent la relation avec nous-mêmes, les autres et le monde.
Merci à vous d’avoir souligné ces éléments et pour votre réflexion.
Un Jedi en devenir,
Kévin Camhi
29 juin 2020
Merci pour cet article. Je suis pressée de lire la suite! La question du sens a été à l’origine de tout un développement personnelle qui a commencé déjà adolescente, et qui a motivé mon premier choix de formation à l’époque. Il est encore celui qui me pousse dans cette formation de coaching! Me replonger dans cette réflexion en repartant de son origine, et de ce qui fonde l’humanité de tout à chacun est pour moi très inspirant et motivant!!
C’est un long voyage, qui n’en fini pas, mais que la route est belle et riche!!
AMANDINE SERVOLLE
16 avril 2020
Merci énormément pour votre commentaire et votre histoire Amandine !
Votre message me fait particulièrement plaisir, la question de sens provient aussi d’un développement personnelle qui a commencé très tôt.
Accomplir des objectifs le long de sa Voie est une bonne chose, mais il faut surtout en apprécier le chemin.
En vous souhaitant un bon voyage le long de cette route,
Kévin Camhi
29 juin 2020
Un éclairage intéressant sur la question du sens, au centre des préoccupations contemporaines ! Merci
Dominique
23 avril 2020
En effet, ce sujet présente un grand intérêt dans les préoccupations actuelles.
C’est moi qui vous remercie !
Kévin Camhi
29 juin 2020
Merci pour cet article, j’aimerais échanger sur le SENS au travail, qui regroupe pour moi trois notions : la direction (peut-on parler ici de l’intentionnalité ?), la signification (le cognitif) et la sensation (l’affect). La question du sens au travail et dans le travail me passionne, vos commentaires m’intéressent ! Merci
Bourgeois
1 mai 2020
Merci à vous,
Vous avez entièrement raison, ces trois notions se retrouvent chez Barbier, Lionnel Garreau les retraitent par les éléments : cognitifs ; intentionnels ; affects (émotion et sensation).
Cependant, je pense qu’il est nécessaire d’appréhender aussi la question de la spiritualité dans la recherche de sens avec la relation que nous entretenons avec nous-mêmes, les autres et le monde.
Au plaisir de communiquer avec vous et n’hésitez pas à jeter un œil aux autres articles qui devrait vous intéresser.
Kévin Camhi
29 juin 2020
Article très rafraîchissant. Je me demande si le SENS peut être pluriel (travail, vie privé etc.)?
Merci en tout cas et vivement la suite !
Roger K.
4 mai 2020
Je vous remercie de votre commentaire.
Le sens peut se retrouver, en effet, à divers niveaux : individuel, collectif ou commun, organisationnel.
Je compte m’attarder beaucoup sur le point de vue individuel et d’en analyser les conséquences sociales et organisationnelles.
Kévin Camhi
29 juin 2020
Donner de la consistance au sens dans un monde azimuthé me semble être une ambition plus que louable. Débuter par le commencement vous amènera surement à poser une perspective sur notre civilisation contemporaine. A suivre donc …
Pierre
18 août 2020
Désir et intelligence, Bête et Dieu, Être et non-être.
L’existence humaine est celle qui se choisit.
L’Homme se choisit-il ? Ce que je comprends là, c’est la position intermédiaire (ou plutôt autre) entre la bête et dieu. L’animal se contente de se reproduire, et ses seules évolutions sont le fruit des adaptations-mutations aux variations de contexte/environnement. L’homme par sa capacité réflexive est invité à évoluer, du fait de sa conscience de soi, du monde, et des interactions.
Cette vie qui se choisit est orientée par nos choix et nos orientations (?), cela renvoie à survie-intelligence-désir. La question de l’éthique, qui est finalement une autorisation (future car construite mentalement et mémorisée, ce qui pose la question de comment s’active cette veille de la conscience morale ?) renvoie à cette catégorisation du bon et du mal. Le terme bien me semble plus adapté, il ramène l’autre couple platonicien : individu et collectif car il renvoie à l’autre, le bon ne renvoie qu’à soi( ?). Pourrait-on dire qu’en plus de prêter sens, la question de l’éthique chez l’homme pose immédiatement la question de l’autre (que soi), n’est-ce pas le lieu où l’autre s’impose à soi ?
Ces éléments à là fois cognitifs et intentionnels sont influencés par nos choix d’existence : ne pensez-vous pas que l’influence est symétrique ou réciproque, pas univoque ?
Ces éléments doivent trouver un équilibre … n’est-ce pas justement là, la problématique humaine (les éléments sont finalement « assez indifférents » à notre ressenti de leur équilibre relatif) qui est un mélange, une alternance de « provoquer » un déséquilibre et reconstruire un nouvel équilibre ? Comme la marche, la conscience en plus. Finalement le coaching n’est-ce pas dans une certaine mesure transmettre ce sens d’une marche consciente ?
J’ai apprécié ce travail de synthèse conceptuelle que vous nous proposez et qui nous évité de faire le boulot“. J’espère que vous ne prendrez pas mes remarques comme une critique nocive, mais bien comme l’opportunité que vous m’avez offerte de mettre en mouvement ma réflexion. Cordialement. JF Raynaud (apprenant Linkup coaching, promo 148)
Jean-François Raynaud
7 avril 2022
Étonnant je me demande qui a écrit ce petit article mais c’est un vrai petit plaisir de déconfiné ! Il doit sûrement être un grand sensei de la philosophie du sens, hâte de lire les autres épisodes.
Mourgix
5 avril 2020
Un immense merci à vous Mourgix, votre commentaire me va droit au cœur !
Kévin Camhi
29 juin 2020