Le coaching existentiel – Tour d’horizon #4

Le coaching existentiel – Tour d’horizon #4

Qu'est-ce que le coaching ? Pour cette année 2022, on a décidé de revenir à la base en se posant cette question simple. L'une des manières de répondre, c'est de présenter les différents courants qui existent en coaching. Et également de vous expliquer leurs spécificités. Bienvenue dans notre nouvelle série : tour d'horizon des coachings. Aujourd'hui, épisode 4 : le coaching existentiel.

Victor Frankl : si vous êtes formé·es au coaching, vous connaissez sûrement ce nom. C’est un auteur autrichien très connu pour ses réflexions sur le sens. Et l’approche existentielle de l’accompagnement, c’est exactement ça. On va travailler sur le sens que les individus donnent à leur vie et plus généralement à leurs expériences et aux situations qu’ils rencontrent. On va donc travailler sur ce que les client·es veulent et ressentent pour les accompagner vers un alignement. En faisant cela, on produit un terreau favorable à un changement attendu et souhaité.

Le coaching est-il un existentialisme ?

En 2017, Diego Torraca, responsable R&D chez Linkup, rejoignait l’équipe. Il sortait tout juste d’un master de philosophie et entamait un doctorat en Phénoménologie. En arrivant, il nous a proposé un excellent article pour le blog : « Le coaching est-il un existentialisme ? ». Voilà comment il répondait à l’époque à la question :

« L’existence précède l’essence » : phrase symbolique de la théorie sartrienne. Mais qu’est-ce que cela veut dire ? Quel rapport avec la pratique du coaching ?

Dans ce contexte, la notion d’essence représente la nature propre à quelque chose. Par exemple, la nature d’une chaise est celle d’un objet conçu pour que les personnes puissent s’assoir dessus. Cette nature est prédéterminée. Donc, pour la chaise, l’essence précède l’existence.

Dans notre cas, la formule s’inverse : notre existence précède notre essence. C’est-à-dire que nos choix individuels déterminent ce que nous sommes. Par exemple, nous avons toute liberté pour choisir notre métier (coach, peut-être ?), mais ce choix existentiel va déterminer nécessairement notre « essence ».

Nous touchons ici au thème de la responsabilité. Selon le philosophe, nous sommes irrémédiablement responsable par ces actes. De-là, d’ailleurs, toute l’angoisse d’engager cette responsabilité et cette liberté face à des possibilités infinies. Voici donc le rapport entre l’existentialisme et le métier de coaching : celui-ci doit se fonder sur le principe d’action et sur la responsabilité inaliénable de l’individu (cf. – Linkup Coaching). En ce sens, la pratique du coaching peut être reliée à l’existentialisme en tant que discipline ancrée dans une réalisation autonome, qui s’adapte à la complexité du présent pour l’inventer.

Les trois principes de l’existentialisme

Avec cette définition, on aborde déjà directement deux des trois grands principes de l’existentialisme : L’incertitude et l’angoisse existentielle. Le troisième grand principe, c’est la relationalité (désolé, je n’ai pas trouvé mieux que ce néologisme pour traduire l’anglais relatedness dans ce contexte.).

Le principe de relationalité

La relationalité, c’est très simple à comprendre : tout est en relation avec tout, tout le temps. En cela, l’approche existentielle du coaching est très proche des approches systémiques. Mais dans un contexte existentiel, la relationalité va encore plus loin : nous ne sommes uniques que parce que nous sommes lié·es à d’autres. On peut penser l’individualité comme un ensemble de coordonnées, chacune de ces coordonnées, ce sont vos appartenances. Et l’ensemble de ces appartenances donne une position singulière dans le monde : vous (pour plus de détails, voir l’article Laroussinie & Portocallis (2017) sur le rapport entre identité et interaction).

Le principe d’incertitude

Le principe d’incertitude, c’est une conséquence du principe de relationalité. Puisque tout est en relation avec tout, tout le temps, il est impossible de tout contrôler. Et cette impossibilité de contrôle provoque par définition de l’incertitude. Entrons rapidement dans le détail en distinguant deux grands espaces d’incertitude : l’extérieur et l’intérieur. En tant qu’individu, il est impossible de :

  • contrôler complètement les stimuli extérieurs, en d’autres mots, ce que les autres (nous) font,
  • contrôler complètement la manière dont nous ressentons, vivons et répondons à une expérience.

Pour autant, tout n’est pas tout le temps incertain. Mais l’approche existentielle nous encourage justement à considérer ce qui, dans notre quotidien, est changeant, éphémère, incontrôlable.

Le principe de l’angoisse existentielle

Enfin, le principe de l’angoisse existentielle est la conséquence des deux premiers. Plongé·es dans un océan d’incertitude et confronté·es aux possibilités infinies de l’existence, il est difficile de ne pas ressentir une profonde angoisse. On appelle parfois ça le vertige existentiel, et c’est un sujet abondamment traité en philosophie.

Ce vertige existentiel, il n’est pas forcément négatif. C’est une émotion qui permet de produire un espace de grande créativité, de grande attention à l’autre. C’est aussi un espace qui permet de s’abandonner à l’intuition. Bref, c’est un espace potentiellement innovant et créatif. Mais c’est aussi, comme le terme « angoisse existentielle » l’indique, un espace de détresse, de stress et d’anxiété. Ernesto Spinelli et Caroline Horner, les auteurs du chapitre sur la question, résument parfaitement la question :

Le dilemme de l’angoisse existentielle, ce n’est pas tant qu’il existe qui est important, mais plutôt la manière dont on le vit et ce qu’on en fait.

(Trad. personnelle de : « The dilemma of existential anxiety is not so much that it is but rather how each of us lives with it », in Spinelli, E., & Horner, C. (2018). An existential approach to coaching psychology. In Handbook of Coaching Psychology (pp. 169-179). Routledge.)

L’importance du sens

Face à l’angoisse existentielle et l’infinité des choix possibles, certain·es auteur·es existentialistes considèrent qu’il existe une solution : le sens que l’on donne à sa vie et ses actions. C’est le cas notamment de Victor Frankl. Pour lui comme pour d’autres, l’importance que l’on accorde au sens n’a d’égal que notre intolérance à l’absence de sens. Ce faisant, ce qui est important pour ces auteur·es, ce n’est pas le sens en tant que tel. Mais plutôt la recherche de sens, c’est-à-dire l’action par laquelle on s’éloigne de l’absence de sens.

Cette importance du sens, on la retrouve dans de nombreuses études en milieu professionnel. Kevin Camhi, doctorant en sciences de gestion au sein du département R&D de Linkup Coaching, y a consacré une série d’articles sur ce blog. Voir notamment celui-ci pour approfondir l’accompagnement du sens en coaching. Kevin y décrit notamment l’importance du protocole SVST, voyez plutôt :

Aujourd’hui, il existe le dispositif Sens de la vie et Sens du travail (SVST) élaboré par les chercheurs Bernaud & Al, (2015). Ce dispositif représente un puissant outil d’accompagnement du sens, il consiste à identifier ses priorités de vie « à savoir ce qui importe pour soi dans la vie et à chercher un sens à donner à sa vie » (Bernaud et al., 2015). Chacune des séances dure environ deux heures (parfois trois ou quatre) avec un temps similaire à accorder lors des travail inter-séances. L’ensemble de ce dispositif est à étaler sur un délai d’environ trois mois (Bernaud & Sovet, 2019).

Il est important de noter que tout ce dispositif s’appuie aussi sur un carnet de bord remis en première séance à l’individu. Selon Bernaud,& Sovet, (2019), le carnet de bord permet une meilleure autonomie et appropriation dans nos réflexion.

L’importance du choix

On l’a vu plus haut : l’une des grandes problématiques existentielles, c’est la question du choix. L’approche existentielle, parce qu’elle repose sur le principe de relationalité, nous oblige à redéfinir ce qu’on entend par choix. En d’autres mots, la formule « tu fais tes choix, je fais les miens » n’a pas de sens dans une approche existentielle. Bref, tout choix aura un impact sur l’autre. Et puisque tout choix aura un impact sur l’autre, considérer le choix de manière individuelle n’a pas de sens. On retrouve cette idée quand on dit par exemple que notre liberté s’arrête où commence celle des autres. Autrement dit : puisque nos choix auront nécessairement un impact sur autrui, nous ne pouvons pas exercer notre liberté sans entrave.

Donc le premier apport de l’approche existentielle, c’est de dire qu’un choix nous engage autant qu’il engage autrui. Le deuxième apport, c’est de dire que faire un choix, c’est choisir une direction dans l’incertitude. Ça veut dire simplement que, par le choix, on se redéfinit. Et en choisissant constamment, on se redéfinit constamment. Alors évidemment, on ne change pas du tout au tout, tout le temps. Mais ce qui est important ici, c’est l’idée que le choix nous rend libre : en faisant des choix, on choisit ce que l’on veut être.

Le coaching existentiel en pratique

Dans les deux dernières sections, on a établi que l’une de nos principales motivations, c’est de produire du sens. On a également mis en avant l’importance du choix : avoir le choix, c’est ouvrir un espace de réalisation de soi. Voyons maintenant comment cette approche se décline en pratique. On présentera rapidement la base, puis deux protocoles, et il sera ensuite l’heure de conclure.

On a vu plus haut que les grandes problématiques existentielles, ce sont la question du choix, la question du sens et la question de l’angoisse existentielle. En coaching, on va principalement travailler sur les deux premières. Le but, accompagner nos client·es dans le développement de leur capacité à faire des choix, et donc à s’affirmer. Mais surtout à le faire en ayant conscience des interrelations dans lesquelles ils et elles sont plongé·es. En coaching systémique, on parlerait d’une conscience du système d’appartenance.

L’exploration du monde client·e

Comme tout coaching, un coaching centré sur des problématiques existentielles commence par l’instauration d’un rapport collaboratif, puis par l’exploration du monde des client·es. On peut parler également de l’exploration du système de représentation des client·es. Le but, c’est de répondre à une question simple : comment les client·es se représentent le(ur) monde ?

Dans une approche existentielle, on va particulièrement s’attarder sur les relations entretenues par les différents éléments qui composent la représentation. Le but : mettre à jour les interrelations et interdépendances pour faire ressortir les tensions éventuelles, explicites ou implicites, sur lesquelles on pourra travailler.

Le protocole phénoménologique

Le protocole phénoménologique, c’est une méthode d’enquête. Il a été pour la première fois proposé en 1977 par le philosophe Don Ihde dans un livre intitulé Phénoménologie Expérimentale (Ihde, D. (1986). Experimental phenomenology: An introduction. Suny Press.). Le but de ce protocole : proposer des règles simples pour améliorer la capacité d’accompagnement. Ces règles, il y en a trois :

  • La règle d’EPOCHÈ : en trois mots, c’est la page blanche. Le ou la coach·e doit laisser de côtés ses préconceptions sur la personne qui lui fait face.
  • La règle de la DESCRIPTION : avec les client·es, il faut d’abord chercher à décrire plutôt qu’à analyser. Pourquoi ? Parce qu’en analysant trop vite, on risque de calquer nos propres théories, concepts, conceptions & représentations sur l’expérience de l’autre, sans chercher à la comprendre. En donnant la priorité à la description, on produit un espace dans lequel l’expérience de l’autre est au centre. Un espace dans lequel il ou elle pourra donc décrire et reproduire son expérience de la manière la plus personnelle possible. Et cette matière, c’est ce avec quoi on pourra ensuite travailler. Concrètement à ce stade, il faut préférer « Comment ? » et « Quoi ? » et oublier « Pourquoi ? ».
  • La règle de l’HORIZONTALISATION : dans un premier temps, bannissez toute hiérarchisation de l’information. Tout ce que vous dit votre client·e doit être également reçu et compris. En d’autres mots : traitez tous les éléments qui sortent de la description de manière égale.

En bref, le protocole phénoménologique, c’est un ensemble de trois règles simples qui nous permettent de nous concentrer, en tant que coach·e, sur l’autre plutôt que sur nous.

Le protocole des royaumes discursifs

  • Focus « Je » : le but, explorer la relation de soi à soi des coaché·es (comment je me perçois, comment je me sens ?)
  • Le focus « Tu » : le but, explorer la relation d’autrui à soi (comment suis-je perçu, comment l’autre se sent avec moi ?)
  • Focus « Nous » : le but, explorer la relation à soi en tant que membre d’un nous (comment je me perçois dans le collectif, comment je me sens dans ce collectif & comment je nous perçois en tant que groupe ?)
  • Focus « Eux/Elles » : le but, explorer les autres signifiants et l’impact que j’aurais sur eux après mon coaching

Conclusion

Le coaching existentiel, c’est principalement une affaire de problématiques. C’est également une question de focus dans l’accompagnement. En tant que coach·e et en fonction des problèmes de mes client·es, quelles investigations vais-je mener ? Travailler sur des problématiques existentielles et inscrire une partie de son questionnement dans les protocoles existentiels, c’est adopter en partie une approche existentielle du coaching.

Parce que ce type de coaching s’intéresse particulièrement au choix et à la capacité de choisir en situation d’incertitude, il est très adapté aux problématiques de transition et de changement. La littérature rend compte de plusieurs résultats significatifs. On trouve principalement (1) une plus grande congruence des individus et (2) une plus grande capacité à accepter et gérer l’incertitude et les environnements incertains. Les domaines les plus concernés sont donc le développement du leadership et la gestion de carrière.

C’est terminé pour cette semaine, rendez-vous mardi prochain pour le prochain épisode de notre tour d’horizon des coachings avec le coaching ontologique. Bonne semaine et à mardi !



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