Pratiques managériales du sens : Finalités / Cognition / Affects (4)

Pratiques managériales du sens : Finalités / Cognition / Affects (4)

Nous avons vu dans le précédent article les différentes variables du sens, leurs approches et théories en science de gestion. Il est nécessaire de les appréhender pour réussir à mettre en place des pratiques managériales sur le sens.

Le travail a-t-il du sens ? Quelle est la différence entre sens au travail et sens du travail ? Si la question du sens de la vie est débattue depuis longtemps, le lien entre sens et travail tel qu’il est envisagé aujourd’hui aura dû attendre l’apparition de conceptions philosophiques plus individualistes et matérialistes qui font un lien entre le fait d’exercer une activité et celui de procurer du sens à sa vie. Par exemple, chez Marx, la conception du travail est telle qu’il peut être source d’aliénation autant que d’émancipation.

Il ressort principalement que la relation entre sens et travail est un composé d’éléments cognitifs, intentionnels, affectifs. Quels sont ces éléments et comment sont-ils représentés en science de gestion ? Comment contribuent-ils à la question de sens ? Nous nous attarderons sur ces différents éléments avec les principales théories et approches du sens en science de gestion. Puis, nous traiterons des différentes pratiques managériales facilitant ces éléments et permettant de redonner du sens au travail. Bonne lecture à tous, et au plaisir d’échanger en commentaires.


Pratiques managériales du sens : Finalités / Cognition / Affects

« En finalité, le but de toute approche managériale ne devrait-il pas se résumer à une quête du bon sens ? » (Scascighini, 2016). Garreau (2009) affirme que des pratiques managériales limitant le phénomène de perte de sens sont des avancées vers un management par le sens. Ces différentes pratiques managériales doivent être co-construites avec les différentes parties prenantes afin d’en optimiser la réception.

Pour Garreau (2009), manager par le sens c’est manager les éléments cognitifs, les objectifs mais également les émotions et les sensations des individus. Trois types de management permettent de gérer ces différentes dimensions :

  • le management des objectifs qui influence la motivation et l’intention des individus par la poursuite de finalités communes ;
  • la mobilisation d’éléments cognitifs pour décrypter la situation. Pour rappel, les éléments cognitifs renvoient aux connaissances et aux savoirs en entreprise. On parlera de management de la connaissance ou, plus particulièrement, d’apprentissage organisationnel (A.O). Ce procédé managerial contribue à une bonne transition lors de changements organisationnels ;
  • le management des valeurs qui est issu de l’émergence de la littérature sur l’affect et s’attarde sur les valeurs, les normes, les savoirs et connaissances dans l’organisation. Ce type de management permettrait un environnement dans lequel l’affect des acteurs serait annonciateur d’engagement.

Le Management des objectifs (MPO)

Utilisé depuis plusieurs décennies, le management par les objectifs (MPO) a été mis en évidence par Taylor (1911) et Barnard (1938). Cette pratique s’est développée avec les travaux de Hamel et Prahalad (1994) qui ont montré l’émergence de l’implication des individus au travail. Aujourd’hui, le MPO reste un outil grandement employé en gestion des ressources humaines (Garreau 2009).

Le MPO consiste, entre le manager et le salarié, à établir les objectifs à atteindre et un plan d’action pour y parvenir. Lorsque ce management s’applique à l’ensemble d’une organisation, les efforts de chaque individu permettent de contribuer à l’atteinte d’objectifs globaux et fédérateurs (Scascighini, 2016).

Six étapes sont nécessaires à la bonne mise en œuvre d’un MPO.

  1. Définition de la performance et de ses indicateurs pour l’entreprise
  2. Définition des axes stratégiques
  3. Traduction des axes stratégiques en objectifs opérationnels
  4. Mobilisation des ressources humaines
  5. Définition des objectifs et validation par chaque employé avec son responsable
  6. Identification pour chaque objectif : des compétences nécessaires à leur réalisation, des indicateurs de mesures et de suivi

Ce type de management améliore la motivation individuelle de chaque individu en lui permettant d’être acteur et responsable de son travail. Ce fonctionnement permet aux salariés de s’impliquer davantage, d’améliorer la communication avec leurs managers et ainsi de contribuer au sens par ce qu’on appelle des éléments intentionnels (c’est-à-dire l’engagement volontaire dans le travail). En effet, le MPO œuvre comme un levier de motivation, d’opportunité, de développement personnel et d’incitation à l’action dans le cadre d’une fonction (Scascighini, 2016).

Le management des connaissances par l’apprentissage organisationnel (A.O)

Le management des éléments cognitifs consiste à attirer l’attention des managers sur les normes, les savoirs et les connaissances dans l’entreprise. Cette pratique, plus tardive que le management des objectifs, a émergé avec le management des connaissances et l’apprentissage organisationnel (Argyris et Schön, 1978 ; Weick, 1991 ; Garreau, 2009).

L’A.O représente par définition un phénomène collectif d’acquisition et d’élaboration des compétences et connaissances dans l’entreprise (Koenig, 1994). Il apparaît comme un levier de transformations des représentations, des modes de pensées et des connaissances pour le développement, l’innovation et la créativité de l’organisation (Paulus, 2013).

Ils existent différents types d’apprentissages en fonction de la transformation souhaitée

  • L’apprentissage en simple boucle est à privilégier si les managers souhaitent réaliser une modification des comportements dans l’entreprise. On parle d’un apprentissage adaptatif, car on adapte les différents comportements, compétences et connaissances des salariés à la vision de l’entreprise ;
  • L’apprentissage en double boucle est préférable pour une modification des schémas de pensées ou des valeurs de l’entreprise et de l’individu. On parle d’un apprentissage génératif, car ce processus est générateur de nouvelles connaissances envers le sens que souhaite insuffler le manager ou l’organisation ;
  • Le Deutéro-Apprentissage traduit la capacité qu’a l’organisation d’apprendre à apprendre (Argyris et Schön, 1978 ; Robert, 2004). Plus celui-ci est important, plus l’organisation aura la capacité à réagir aux aléas du changement.

Ces types d’apprentissages permettent donc d’être plus réactif et ainsi, de mieux contribuer au développement du sens au/du travail lorsque des changements complexes sont à réaliser (Dyer et Shafer, 1998). En effet, ces savoirs déterminent un enjeu stratégique et concurrentiel par la capitalisation des connaissances et expériences générées dans l’entreprise (Robert, 2004).

Management des valeurs

Le management par les objectifs et l’apprentissage organisationnel sont, aujourd’hui, bien connus en entreprise. Le management des émotions et des sensations, quant à lui, semble moins utilisé, mais se répand par le biais de travaux portant sur les phénomènes de mal-être au travail comme le stress ou le burnout (Chanlat, 1990).

Le management par les valeurs semble plus approprié pour répondre aux besoins des entreprises qui souhaitent développer plus de sens, de collaboration, d’engagement et de responsabilisation (Scascighini, 2016). Le management des valeurs s’attarde sur les normes de comportement et les déclinaisons de valeurs au sein d’une entreprise. Ces éléments constituent, pour le manager, des leviers de dynamisation individuelle et collective pertinents pour transformer le travail et la performance des individus (Scascighini, 2016).

Ils existent deux types de valeurs qui constituent l’identité unique de l’entreprise et dont les finalités divergent (Scascighini, 2016)  :

  • Les valeurs terminales, extérieur à l’entreprise, ont pour objectif de promouvoir l’image de l’entreprise et construire sa réputation
  • Les valeurs instrumentales, diffusées en interne, constituent les fondements de l’identité commune de l’organisation. Ces valeurs contiennent les comportements, aptitudes et modes de pensée que chacun doit adopter pour contribuer au projet d’entreprise, et ce, quelle que soit sa fonction ou son niveau de responsabilité

Le management par les valeurs s’avère bénéfique à l’engagement de chacun. Il permet aussi une meilleure adaptation et réaction à des environnements incertains (Garreau, 2009 ; Scascighini, 2016).

En effet, manager par les valeurs permet aux entreprises de :

  • Donner du sens à leurs actions et orienter l’engagement
  • Structurer les modes de collaboration par l’adoption de valeurs partagée par tous les acteurs de l’entreprise
  • Gérer la complexité de l’organisation et la diversité des situations
  • Promouvoir son identité, tant en interne que vis-à-vis de l’extérieur

Une des difficultés du management des valeurs est que la construction et la diffusion du système de valeurs (interne/externe) peut prendre du temps, que ce soit au niveau de l’organisation ou de l’intégration de nouveaux éléments (Scascighini, 2016).

Conclusion

Garreau (2009) est conscient de la difficulté d’incorporer ces trois types de managements dans un équilibre envers l’organisation et ces acteurs. Néanmoins, il affirme qu’en être conscient permet au manager d’atteindre un management par le sens satisfaisant.

Il s’agirait, ici, d’attirer l’attention des managers sur : Le MPO comme un levier pour la motivation et pour l’action des acteurs dans leur activité. L’A.O en tant que procédé de transformation des connaissances pour une meilleure réactivité et contribution du sens dans l’entreprise. Le management des valeurs qui permet, lui aussi, une meilleure réaction aux environnements incertains, mais il serait surtout une source d’engagement pour les individus.


Références

Argyris, C & Schön, D. (1978), Organizational Learning: A theory of Action perspective, London : Addison-Wesley.

Argyris, C. et Schön, D.A. (2002/1996). Apprentissage organisationnel. Théorie, méthode, pratique. Paris : DeBoeck Université, 380p.

Chanlat J-F. (1990), L’individu dans l’organisation Les dimensions oubliées, Québec: Presses de l’Université de Laval, 842 p.

Chanlat, J-F. (2007). Chapitre 3. Les dimensions oubliées de l’agir stratégique en situation : un regard anthropologique. Dans : Xavier Deroy éd., Formes de l’agir stratégique (pp. 101-150).

Dyer, L., & Shafer, R. A. (1999). From human resource strategy to organizational effectiveness: Lessons from research on organizational agility. In M. A. Wright, L. Dyer, J. Boudreau & G. Milkovich, Strategic human resource management in the 21st century, Research in Personnel and Human Resource Management, Supplement 4 (pp. 145-174). Greenwich, CT: JAI Press.

Dyer, L., & Shafer, R. A. (2003). Dynamic organizations: Achieving marketplace and organizational agility with people. Working Paper, Cornell University

Garreau, L. (2009). L’apport du concept de sens à l’étude du fonctionnement des équipes projet. Etudes de cas de développement de centres commerciaux chez Immochan.

Garreau, L. (2009). Accéder à l’opérationnalisation d’un concept complexe au travers de la théorie enracinée: le cas du concept de sens. L Garreau, PL de Tassigny – Rétabli http://basepub. dauphine. fr/bitstream/handle.

Garreau, L. (2006). Création de sens et apprentissage organisationnel, une perspective croisée. IAE de Lille et Reims Management school.

Koenig, G. (1994), « L’apprentissage organisationnel : repérage des lieux », Revue française de gestion, pp. 76-83.

Koenig, G. (1997a), « Apprentissage organisationnel », in SIMON Y., JOFFRE P. (eds.), Encyclopédie de gestion, pp.171-187

Paulus, K. & Soparnot, R. (2015). Une perspective interactionniste de la norme ISO 26000 comme vecteur d’apprentissage organisationnel – Le cas d’une PME du secteur de l’évènementiel. RIMHE : Revue Interdisciplinaire Management, Homme & Entreprise, 17(3), 3-19. doi:10.3917/rimhe.017.0003.

Paulus, K. (2016). La gestion du changement RSE par la méthodologie ISO 26000. Cas d’une entreprise de l’industrie événementielle. Revue de l’organisation responsable, vol. 11(2), 36-54. doi:10.3917/ror.112.0036.

Robert, J. (2004). Le management des connaissances : une révolution pour la GRH ?. Personnel et Gestion, N°10, p2-6.

Scascighini, M. (2016).  Le management par objectifs Ses mécanismes, ses avantages, ses limites https://www.crpm.ch/ck/ckfinder/userfiles/files/Management%20par%20objectifs.pdf

WEICK, K.E. »The non-traditional quality of organizational learning », Organization Science, vol 2, n°1,1991

Doctorant CIFRE - R&D Linkup Coaching
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