Il n’y a – comme vous pouvez le constater – qu’un thème ce mois-ci. Si nous avons fait ce choix, c’est parce que ce thème mérite approfondissement (et puis c’est bientôt noël et acheter des cadeaux prend du temps). Nous avons choisi d’articuler notre propos du mois autour d’un point particulier : la perception du conflit.
Est-il bénéfique ? Est-il un frein aux relations sociales ? Trêve de suspense, oui, non, ça dépend. Vous trouverez un développement de ce propos (et surtout des deux premières réponses : oui ; non) dans les œuvres respectives de Georg Simmel et Lewis Coser, Le Conflit et The functions of social conflict. La troisième réponse (ça dépend) nous permettra d’élargir notre champ de vision en prenant en compte les représentations culturelles particulières du conflit. Pour ce faire, nous présenterons rapidement le livre d’Ivan Kamenarovic, Le conflit, perceptions chinoise et occidentale.
Bibliographie
« On peut aussi déduire que ces notions elles-mêmes, au lieu d’être des éléments toujours et partout présents de l’existence humaine sous les traits desquels elles nous apparaissaient de prime abord, sont en réalité issues d’un regard posé par l’homme sur lui-même et sur le monde dont il fait partie, phénomène qui se produit chaque fois au sein d’une culture, d’une mentalité données et déterminées. » | Kamenarovic I. P. 2001, Le conflit. Perceptions chinoise et occidentale. Les éditions du cerf. P. 10
Georg Simmel, [1908], 1995, Le conflit, Circé
Le propos de Simmel sur le conflit consiste à y réfléchir de manière positive, « Dans les faits, ce sont les causes du conflit, la haine et l’envie, la misère et la convoitise, qui sont véritablement l’élément de dissociation. » (P. 19) Le conflit est inhérent à la vie sociale, en cela, il ne peut pas être dénué d’intérêt. En effet, il permet entre autres la formation de groupes, d’associations et d’organisations puisqu’il implique une définition forte de soi (contre l’autre). Il « désigne le moment positif qui tisse avec son caractère de négation une unité qui n’est que conceptuelle, mais impossible à défaire en fait. » (P. 20) De plus, il est une forme de socialisation puisqu’il est une relation. Simmel propose donc de questionner une réalité sociale qui apparaît comme négative en faisant ressortir les fonctions sociales qu’elle joue. Pour faire court, le conflit est un moment d’émulation dans lequel les différentes parties entre en relation et se redéfinissent.
Lewis Coser, 1956, The Functions of Social Conflict, The Free Press
L’œuvre de Coser reprend Simmel en approfondissant le sujet. Le titre est clair et atteste cette filiation intellectuelle, nous parlerons des fonctions du conflit social. Dans une perspective sociologique, il propose une définition plus précise de ce qu’est le conflit. C’est une « lutte portant sur des valeurs et sur une revendication d’un statut particulier, d’un pouvoir et de ressources, dans laquelle le but des opposants est de neutraliser, blesser ou éliminer leurs rivaux. » (P. 8) Comme Simmel, Coser note que le conflit a deux aspects, un aspect négatif et un aspect positif. L’aspect positif tient principalement dans l’aspect définitionnel du conflit que nous avons soulevé plus haut en parlant de Simmel.
Ivan P. Kamenarovic, 2001, Le conflit. Perceptions chinoise et occidentale, Les éditions du cerf
En occident, le conflit est vu et perçu comme une émulation, un moment de définition lors duquel des solutions émergent. Il y est de fait recherché, la confrontation étant vue comme bonne et fructueuse. La perspective s’inverse radicalement lorsque l’on sort de l’ensemble culturel occidental. Kamenarovic est philosophe et membre du Centre de recherches sur l’Extrême-Orient de Paris-Sorbonne en tant que spécialiste de la Chine. Il propose dans ce livre une confrontation des différentes perceptions culturelles qui existent du conflit, en occident et en chine. Dans cet espace culturel qu’est cette dernière, le conflit est à l’inverse évité et perçue comme contre-productif. Les particularités de cet ensemble culturel, et notamment toute la pensée confucéenne qui prône non pas la différenciation des choses mais une existence complexe, interconnectée et fluide, font que le conflit y est perçu comme une rupture d’équilibre, et plus encore, « un empêchement à la bonne circulation des souffles, et comme une déperdition d’énergie. » (P. 128) Là où en occident il faut chercher et dépasser le conflit, c’est de le désamorcer et de le contourner dont il est question en Chine.
Conseils de lecture
Le livre de Simmel est court et simple d’accès. Il faut noter néanmoins que Simmel y écrit au fil de la plume, Le Conflit se présente donc comme 140 pages sans structure autre que celle, naturelle pourrait-on dire, du fil de pensée de l’auteur. La lecture n’est donc pas orientée et peut se révéler fastidieuse, puisqu’elle exige une concentration particulière dont sont exempts des livres plus structurés. L’écriture de Simmel est très agréable et ses idées et intuitions sont lumineuses, ce livre est un passage obligatoire pour toute réflexion sur le conflit.
Pour tout approfondissement dans l’optique de recherches sociologiques, le livre de Coser est remarquable. Il n’existe néanmoins pas en français. Le propos est très bien structuré et très clair.
Le livre de Kamenarovic offre une perspective culturelle très intéressante. Au-delà de l’intérêt et de la curiosité très grande qu’il suscite, de par l’ouverture qu’il propose, c’est un livre simple à lire par sa structure claire et son écriture fluide. Fortement recommandé.
j’ai hâte d’explorer ces univers.
Madelaine
20 décembre 2016