Peut-on ignorer notre intelligence émotionnelle dans la prise de nos décisions ?

Peut-on ignorer notre intelligence émotionnelle dans la prise de nos décisions ?

L’intelligence émotionnelle (IE : La capacité de raisonner au sujet des émotions et d’utiliser les informations transmises par celles-ci pour enrichir notre raisonnement) été oubliée dans les recette de management depuis des décennies.

L’Intelligence émotionnelle a même été opposée au bon fonctionnement de processus de prise des décisions dans le domaine managérial mais pas que. Cette manière méfiante à l’égard de l’IE reste, aujourd’hui assez courante, néanmoins un changement majeur est en train d’être opéré depuis une vingtaine d’année. Plusieurs recherches en neuroscience, science cognitive ou neuroéconomie ont mit la lumière sur les interactions existantes entre les émotions et la pensée. Ainsi que sur le rôle incontournable des émotions dans le processus de la prise des décisions. Dans son livre « L’erreur de Descartes : la raison des émotions », Antonio Damasio[1] nous invite, études scientifiques à l’appui, à abandonner la dualité cartésienne entre raison et émotion. En se basant sur l’étude neurologique de patients souffrant à la fois de défauts de prise de décision et de trouble de l’émotion, il a avancé l’hypothèse, dite des marques somatiques, selon laquelle l’émotion participait à la raison et qu’elle pouvait assister le processus du raisonnement au lieu de nécessairement le déranger, comme on le supposait couramment. Ses patients malgré le fait qu’ils gardaient la faculté de raisonnement logique se sont montrés incapables d’agir d’une manière socialement acceptable ou d’assumer des responsabilités. Leur mémoire du futur, celle qui permet de se remémorer le passé et de se projeter dans le futur a été atteinte ce qui donné des décisions altérées.
« Le programme d’action émotionnelle que nous appelons la peur peut mettre la plupart des êtres humains hors de danger, assez vite, sans presque qu’il soit nécessaire de recourir à la raison. Dans certaines circonstances, penser peut être bien moins avantageux que ne pas penser. C’est ce qui fait la beauté de l’émotion au cours de l’évolution : elle confère aux êtres vivants la possibilité d’agir intelligemment sans penser intelligemment ».
Antonio Damasio1

Nos choix ne sont pas purement rationnels même si nous le souhaitons. Dans le processus de prise de décisions nous prenons des « décisions optimales (et non) des décisions satisfaisantes » (Simon et Solevey 1990). Nous avons tendance à faire le choix le plus « rationné » compte tenu de nos limites physiologiques et psychologique et de la complexité environnementale».

Dans le domaine économique, et grâce entre autres aux travaux du psychologue Daniel Khaneman, prix Nobel d’économie en 2002 et professeur à l’Université de Princeton, le modèle traditionnel de « l’agent rationnel qui effectue ses choix dans l’optique de maximiser ses profits est dépassé ».  Les économistes ont découvert que, nous sommes loin d’être des purs esprits, et que nous possédons des biais cognitifs et émotionnels (une déviation par rapport à un schéma considéré comme correcte) et des réflexes conditionnés innés qui influencent inconsciemment notre comportement. Ces biais cognitifs et émotionnels sont bien plus importants dans nos décisions que la réflexion rationnelle. C’est cette implication de l’émotionnel dans la prise de décision qui, entre autres, explique les anomalies boursières.

Depuis une vingtaine d’années, la neuroéconomie, développée aux USA, arrive à faire le rapprochement entre l’émotion et la raison dans la prise de décision dans le cadre d’expériences d’économie comportementale. Comme l’explique le Professeur Christian Schmidt (Professeur à  Paris Dauphine et militant pour le déploiement de  la neuroéconomie en France) en faisant le rapprochement entre les constatations des économistes que les consommateurs et les investisseurs ne prennent pas forcément les décisions prédites théoriquement et les neurologues qui réussissent à déterminer et analyser les connexions neuronales des personnes placées dans des situations de choix décisionnel. Tout cela grâce aux nouvelles technologies appliquées au domaine des neurosciences comme l’imagerie cérébrale principalement incarnée par  l’électroencéphalographie (EEG), la magnétoencéphalographie (MEG), la Tomographie par Emission de Positrons (TEP) et l’Imagerie par Résonance Magnétique fonctionnelle (IRMf).

Nous pouvons dire que l’époque où les cogniticiens considéraient que le système cognitif n’est qu’une « machine pensante, incarnation de la raison » et que l’émotion  n’est qu’un perturbateur de l’esprit (cognitif) est révolue. Même si l’apport scientifique dans le domaine des émotions n’est qu’à ses débuts.

En Communication NonViolente, Processus de Marshall Rosenberg, l’émotion est considérée comme un signal qui nous renseigne sur nous-mêmes, sur notre relation aux autres et sur notre relation à l’environnement qui nous entoure. C’est la partie qui nous renseigne sur ce qui est vivant en nous : nos besoins. Une émotion désagréable nous signale un besoin non satisfait et une émotion agréable nous renseigne sur un besoin satisfait. L’ignorer c’est se priver d’une ressource importante voir même déterminante dans notre processus de prise de décision. Ce processus reste le même dans la sphère privée comme dans la sphère professionnelle. L’idée que les personnes peuvent laisser leurs émotions au placard avant de pénétrer leur lieu de travail est un leurre. Le développement de notre Intelligence Émotionnelle nous permettrait certainement de mettre toutes les chances de notre côté pour ne pas sombrer dans la difficulté et ne pas être une terre fragile à pénétrer facilement par les maux rencontrés en entreprise comme le stress, le burnout, les conflits répétés et surtout aspirer à une vie en congruence avec le sens que nous lui donnons.

Dans mon travail de coach et de formateur en Communication NonViolente et autres approches d’intelligence émotionnelle, je peux témoigner que dans le monde de l’entreprise des prises de conscience et des ouvertures se font chaque jour. Je constate une demande croissante pour des formations à l’intelligence émotionnelle. J’ai moi-même donné ou organisé des formations, pour des grands groupes industriels, sur l’intelligence émotionnelle et la Communication Non Violente. J’ai eu aussi à accompagner des managers en coaching basé sur l’intelligence émotionnelle. C’est une nouvelle génération de managers et de patrons qui cherchent à offrir à leurs cadres ainsi qu’à leurs employés une autre manière de s’engager dans  le travail. Le feed-back sur ces formations et accompagnements a été à chaque fois positif et très encourageant.

Le monde de l’entreprise reste dans sa grande majorité un monde qui cherche le profit avant tout et qui pour cela oriente son énergie vers ce qui rationalise une certaine représentation de la performance et fait encore le plus souvent abstraction des émotions des Hommes qui composent l’entreprise. Mais une nouvelle génération émerge et promet un changement et une prise de conscience globale qui fait de la place pour tous nos intelligences y compris émotionnelle. Il nous reste à arriver à cette masse critique, au centième singe[1], qui permettra une généralisation de cette conscience et de cette manière de faire.

Pour accompagner ce changement social le coach a besoin lui-même de développer son intelligence émotionnelle afin de devenir un Coach Emotionnellement intelligent (CEI). Cela passe nécessairement par le développement de son estime de soi et des autres, de sa conscience de soi et des autres et de son empathie. Plusieurs outils peuvent lui permettre ce cheminement dont le processus de la Communication NonViolente basé sur la mise en place d’une communication consciente et bienveillante avec soi, avec les autres ainsi qu’avec l’environnement.

Donc la réponse à la question : peut-on ignorer notre Intelligence Émotionnelle dans la prise de nos décisions ? est NON, tout simplement parce que l’émotion et la raison sont liées, l’une ne peut pas fonctionner sans l’autre. L’implication de l’émotion dans nos décisions est un processus inconscient et notre travail autant que coach est d’accompagner nos clients à conscientiser ce processus pour en profiter au mieux. Je suis convaincu que l’apprentissage et le développement des capacités émotionnelles feront partie, dans les années à venir, des programmes des écoles dès la maternelle au même titre que les autres compétences de base à savoir : lire, écrire et compter.

L’empathie a déjà fait son entrée dans les écoles au Danemark, des expériences d’enseignement des émotions dans les écoles se multiplient un peu partout dans le monde. C’est à nous, coachs, de prendre, à notre niveau, notre place à travers ce beau métier qu’est le coaching pour accompagner cet élan de changement social.

 « Pour aller plus loin lire « Intelligence Émotionnelle et Coaching : La Communication NonViolente comme outil d’accompagnement », à paraître ce jeudi 10 novembre 2016 en France ».

[1] Antonio R. Damasio, Directeur de l’Institut pour l’étude neurologique de l’émotion et de la créativité de l’Université de la Californie méridionale. «L’erreur de Descartes : la raison des émotions»,  éditions Odile Jacob.

[2] Une expression désignant, à l’origine, un phénomène supposé par lequel un apprentissage se serait répandu depuis un petit groupe de singes à toute la population des singes de la même espèce, une fois qu’un certain nombre d’entre eux aurait été atteint.

 

Coach, Conférencier et formateur de coachs, spécialiste en Intelligence Émotionnelle et en Communication NonViolente
Commentaires
avatar de Julien

Excellent article !

Julien

10 novembre 2016

avatar de Berthon

Emotion et raisonnement indiscutablement liés : Permet de comprendre et convaincre de l indispensable avancée dans sa connaissance émotionnelle propre, et celle de l’autre : Excellent article, merci Linkup 🙂

Berthon

25 novembre 2016

avatar de Nicolas

L’intelligence émotionnelle revient au source de la sagesse et de la découverte du « moi » profond utilisées depuis des millénaires et qui crée, si l’on sait le transmettre un dynamisme et une implication personnelle et professionnelle qui ne peuvent t’être que bénéfique pour tous. Bravo pour cet article qui fera prendre conscience de l’importance de l’émotion dans la vision de soi et de l’entreprise.

Nicolas

7 décembre 2016

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