Lors d’un voyage d’étude de quelques jours dans la Belle Province, en octobre 2013, j’avais été frappé par l’attention apportée par ses C.H.U. aux mesures d’accompagnement de l’encadrement, et notamment le coaching.
Des mesures d’autant plus justifiées que ces hôpitaux universitaires connaissent d’importantes opérations d’investissement et de restructuration. Ayant entrepris une formation en coaching, j’ai décidé de revenir dans la Belle Province pour examiner la situation d’un peu plus près. Je me suis rendu deux semaines dans les trois villes sièges des cinq CHU – Québec, Montréal, et Sherbrooke – afin d’y rencontrer une vingtaine de personnes : DRH, spécialistes de l’accompagnement du changement, coaches et quelques clients « coachés ». Après avoir examiné la place qu’occupe le coaching au sein des quatre autres CHU, essayons de mettre en évidence l’intérêt particulier que représente la démarche engagée par celui de Québec.
Alain BRUGIERE – Directeur d’hôpital honoraire, ancien DRH des Hôpitaux universitaires de Strasbourg
Martin BERGERON – Adjoint au directeur des Ressources humaines, du développement des personnes et de la transformation, CHU de Québec
Note
Nous retenons comme définition du coaching en milieu professionnel celle d’un processus qui « consiste à accompagner des personnes ou des groupes dans la définition et l’atteinte de leurs objectifs, au bénéfice de la réussite de leur évolution personnelle et professionnelle ».
Contexte et enjeux
Dans ce pays de huit millions d’habitants (23% des Canadiens), à la population très inégalement répartie sur un territoire de 1,7 million de km2, la santé est une compétence exclusivement provinciale en ce qui concerne l’organisation, l’ administration et le financement du système de santé et des services sociaux.
Le gouvernement fédéral effectue des transferts financiers aux gouvernements provinciaux.
Le CHU de Montréal CHUM), le Centre universitaire de santé Mc Gill (CUSM), le C.H.U. spécialisé en pédiatrie de Sainte-Justine, le C.H.U. de Sherbrooke et, plus récemment, le CHU de Québec, ont lancé d’importants projets, financés par le Ministère de la Santé.
Les enjeux sont contractualisés avec ce ministère, et visent un délai raisonnable pour l’accès aux services, une qualité et une sécurité des soins accrue, une meilleure attractivité et une plus grande « rétention » (fidélisation) des personnels, tout en offrant des conditions de travail valorisantes et, bien entendu, une amélioration de la performance du système.
Dans chaque CHU québécois, une direction ou un service, dit de la « transition », ou de la « transformation », est chargé d’accompagner le changement, et cet accompagnement comprend pour une part variable, une proposition de coaching dont peuvent bénéficier les cadres supérieurs, ou les cadres, que l’on appelle « gestionnaires » au Québec.
Au CHU de Montréal (CHUM)
Un nouvel hôpital est en construction sur la période 2016-2020 (1,9Mds $ CAN), après la création d’un nouveau centre de recherche et de formation (0,5Mds $ CAN).
L’enjeu, est de conjuguer présent et avenir avec des configurations nouvelles et une maintenance sous-traitée.
Donner du sens au travail des personnels, tout en prenant soin de la santé et de la sécurité au travail, pour développer l’attractivité, tel est le souhait de la Direction.
En atteste le slogan « le CHUM, c’est moi ! », affiché à l’automne 2013 jusque dans les rames du métro, dans le cadre d’une campagne de recrutement ).
Une adjointe au DRH , juriste chargée de l’ensemble des questions de gestion concernant les cadres, est responsable de leur accompagnement. Elle est en outre le seul coach certifié de l’établissement. Des formateurs en développement organisationnel prodiguent des formations de gestionnaire-coach, l’objectif étant de faire évoluer le rôle du gestionnaire vers des pratiques de gestion mobilisatrices. Chaque année en moyenne, une vingtaine de « gestionnaires » bénéficient d’un coaching individuel ou d’équipe. Ce dernier fait l’objet d’un contrat tripartite avec la personne concernée et son supérieur.
Au Centre universitaire de santé Mc Gill (CUSM)
Livré en octobre pour emménagement en 2015, le « site GLEN » est un investissement majeur du Centre universitaire de santé Mc Gill (2,355 Mds $ CAN, 14.000 employés). En passant de six à trois sites, le CUSM entend concrétiser une « vision d’excellence d’intégration des soins de santé (500 chambres individuelles), de la recherche et de l’enseignement ». Cette opération implique, pour la deuxième année, des coupes budgétaires importantes, le ministère de la Santé ayant exigé une économie de 52 millions de $CAN sur deux ans.
Départements et unités cliniques seront transférés, fusionnés, réorganisés.
Tandis que 49% des «gestionnaires » sont en âge de prendre leur retraite, DRH et «Bureau de soutien à la transition » ont uni leurs efforts pour aborder l’aspect humain de la «transition ». Les cadres se voient attribuer un «guide pratique vers le CUSM ». Ils ont la possibilité de bénéficier d’un coaching en gestion du changement et d’un « atelier en gestion de changement », de « groupes de perfectionnement en gestion de changement » spécialisés sur des thèmes dédiés : transition psychologique et gestion des émotions, gestion des résistances, fusion d’équipes et création d’une culture commune…
Coaching ou pas ?
Le coaching « pur » occupe en fait une place très relative dans l’accompagnement des cadres ; bien qu’il existe au CUSM depuis environ cinq ans. Gabriel Leonard, Ph. Dr en psychologie et coach de l’établissement, précise que « généralement, les gestionnaires nous approchent pour différents défis ou problématiques : comment annoncer des restructurations, mon équipe résiste au changement, comment vais-je la gérer? Comment organiser les activités, créer ou maintenir une relation avec des partenaires, conduire des annonces ou suivis difficiles ?… A la recherche de réponses, ils peuvent aussi formuler des demandes d’expertise. » Gabriel Léonard précise à cet égard : « S’il s’agit d’un savoir ou d’un savoir-faire, la question ne se pose presque pas, ce sera du conseil. Si le gestionnaire possède les connaissances et connaît les procédures, mais ne sent pas à l’aise/capable d’agir, le coaching ou le conseil pourrait être proposé ».
Modalités de recours au coaching individuel
« Le coaching peut être proposé lors d’une situation problématique, qui révèle des lacunes du gestionnaire. » Il peut aussi, bien sûr, être utilisé « en lien avec le développement des leaders ou de la relève, sans que des lacunes aient été révélées.» Il peut être sollicité par le gestionnaire lui-même, son supérieur, ou un conseiller.
Les intervenants sont en principe des coaches internes. Gabriel Léonard nous indique : « si nous revenons à la définition officielle du coaching, notre équipe en fait peu. Je dirais que cela peut varier autour de sept ou huit. Si nous parlons d’accompagnements individuels, parfois à tort appelés coachings, le nombre se situe à plusieurs centaines d’interventions. »
L’équipe de développement organisationnel ne comprend que trois personnes, lesquelles exercent par ailleurs d’autres activités, pour « soutenir » environ 400 « gestionnaires ».
Le mentoring
Présenté comme une « composante du Programme de leadership en soins de santé du CUSM », le mentorat vise à accroître « la conscience de soi, la capacité de s’engager dans la poursuite d’opportunités de carrière et l’habileté de concevoir et de mettre en pratique des stratégies pour vaincre les obstacles». G. Léonard évalue la place réelle du mentoring à environ trente cas ces deux dernières années.
Au CHU Sainte Justine
Le CHU Ste Justine (5000 employés) prépare son projet « grandir en santé ». Ce projet se caractérise par un regroupement des soins, de l’enseignement et de la recherche dans un environnement favorable à l’innovation et à l’humanisation des soins. La livraison de deux nouveaux bâtiments, l’un pour les unités spécialisées, l’autre pour le Centre de recherche est prévue fin 2016.
Une équipe de consultants d’HEC Montréal est intervenue pour aider à définir une approche novatrice pour gérer humainement les projets de changement » et former les médecins. Un réseau de 80 agents de changement est accompagné par la DRH et la Direction de la transition afin de « faciliter et soutenir la transformation ».
Caroline Tremblay, psychologue de formation, coordonne les services conseils et le développement organisationnel au niveau de la DRH. Elle est le seul coach formé.
Les cadres peuvent bénéficier de «co-développement », comme d’ateliers de formation où l’expérimentation est au cœur de l’intervention. Le coaching occupe une place modeste dans le dispositif d’accompagnement (une dizaine d’actions dédiées ont été réalisés depuis trois ans et il n’existe pas de coaching d’équipe à proprement parler). Selon Caroline Tremblay, « ici, nous pratiquons plus de l’accompagnement centré sur les objectifs (donc plus systémique qu’ontologique). » Le mentorat n’existe pas en tant que tel, le soutien managérial de la part du supérieur hiérarchique ou des collègues étant privilégié. A la question « que pensez-vous du coaching des personnels à l’hôpital : est-il appelé à se développer? », elle répond : « Le coaching interne est une approche intéressante mais difficile à mettre en œuvre à court terme, au regard des coûts que cela engendre. »
Au CHU de Sherbrooke
Le CHU de Sherbrooke qui comprend deux sites, l’Hôtel Dieu et l’Hôpital Fleurimont, emploie environ 6200 employés, dont 1990 personnels de soins infirmiers et cardio-respiratoires, 168 cadres pour 677 lits, 641 médecins et pharmaciens, 463 professeurs et chercheurs. Objectif de son plan stratégique 2012-2015 : accessibilité aux soins, qualité, compétence et performance.
Nous avons rencontré Annie Fauteux, psychologue de formation, conseillère en développement organisationnel, investie dans le projet Gestionnaire/performance/sens (G.P.S.), qui vise à améliorer les conditions d’exercice des cadres et la performance de l’organisation. Il en ressort que les échanges avec l’encadrement ont conduit à prendre en compte un certain nombre de ressentis (manque de temps, lourdeur des tâches administratives, improvisation, manque de soutien…), en protégeant par exemple la plage horaire 8h-10h, ou en mesurant le temps de gestion de proximité. « le C.H.U. de Sherbrooke, s’est beaucoup interrogé sur le modèle de leader et a retenu le programme LEADS , originaire de l’Ouest, dans la région de Vancouver », précise Annie Fauteux qui en formule le postulat : ceux qui ont le souci des autres maximisent les chances de prestations efficaces et efficientes.
Les stratégies mises en place depuis trois ans ? Le coaching individuel de huit cadres de direction et onze adjoints, le tout adossé à un coaching de l’équipe, ce qui a permis l’analyse de son fonctionnement. Objectif : tendre vers une semaine-type pour mieux coordonner l’équipe de direction et planifier les réunions récurrentes .
Selon Annie Fauteux, depuis des années, « on accordait de l’importance aux compétences, sans s’attacher à la personne ». On essaie désormais d’aider la personne dans la modification de certains positionnements qu’elle n’arriverait pas à faire évoluer sans aide. La DRH du CHU de Sherbrooke souhaiterait développer le coaching, « mais n’est pas encore en mode projet » à cet égard. Annie Fauteux explique : «Le coach par ses questions, « donne du fil à retordre » au client, et encourage ainsi la « transformation ». Il est à l’opposé de l’expert qui donne des conseils, et encourage la passivité de l’autre. » Elle précise qu’en 2013, elle a pratiqué un coaching d’équipe et celui de trois gestionnaires, le deuxième coach de l’établissement n’a pratiqué l’an dernier qu’un seul coaching individuel.
Coaching, leadership et esprit d’équipe au CHU de Québec
Encadré
Contexte présent et futur au CHU de Québec
Structures hospitalières
Affilié à l’Université Laval, le CHU de Québec est le « plus important établissement de santé du Québec »>.
Cinq hôpitaux , 1755 lits.
14 000 employés, 1700 praticiens médicaux, 550 chercheurs, 450 cadres.
Un projet de construction de deux milliards de $ CAN a été arrêté en 2012. L’ensemble de l’activité de l’Hôtel Dieu et un Centre de sciences neurologiques seraient regroupés sur le site de l’Enfant-Jésus à l’horizon 2025. En charge de ce projet dont le plan clinique devait être déterminé en décembre : la Société québécoise des Infrastructures.
« Lean » et politique de management
Il convient, selon l’expression québécoise, de « retourner l’os », c’est-à-dire d’inventorier les pratiques inutiles (surproduction, attente, défauts, déplacements…) en posant la question du sens de l’action conduite : « quelle est la valeur ajoutée réelle aux yeux du patient ? »
Des projets de « lean management » (éliminer les activités sans valeur ajoutée, pour offrir le service requis, en un temps T, et en quantité voulue) sont réalisés depuis plusieurs années au CHU de Québec : notamment à la pharmacie de l’Hôpital Enfant-Jésus, en partenariat avec Fujitsu. Ces projets recueillent un fort soutien, non seulement de la part des directions, mais aussi des associations syndicales, ce qui peut étonner le visiteur français.
Le CHU de Québec est issu de la fusion du Centre hospitalier affilié universitaire de Québec (CHA) et du Centre hospitalier universitaire de Québec (CHUQ) en 2012. La fusion volontaire de ces deux grandes organisations a incité Gertrude Bourdon, sa directrice générale, et Michel Boudreault, directeur des Ressources humaines, à créer un service de Gestion du changement et de soutien à la transformation. La mise en place de ce service a été confiée au co-auteur québécois de cet article .
L’un des premiers mandats réalisés a été la mise en commun des pratiques en matière de soutien et de développement des cadres. Un défi emballant, car nous savions avant même la fusion, que le Centre hospitalier affilié universitaire de Québec et le Centre hospitalier universitaire de Québec avaient conçu des stratégies de développement des cadres, certes différentes, mais pour autant tout à fait complémentaires, avec une composante commune : le coaching. Nous avions le défi de combiner ces deux approches pour offrir un accompagnement et un service de soutien de haut niveau, complet, aux 450 cadres du nouveau CHU de Québec.
Le C.H.U.Q. avait déployé un catalogue d’ateliers de formation en salle couvrant les principaux besoins des gestionnaires, nouveaux ou en progression de carrière. Un programme complété par les services d’un coach interne et d’un groupe de « gestionnaires coachs » formés pour soutenir les candidats de la relève des cadres. Des ateliers de co-développement étaient également offerts.
De son côté, le CHA avait fait le choix de s’éloigner de la formation traditionnelle en classe pour offrir à ses cadres un programme axé sur le développement individualisé des compétences dans l’action et le partage entre pairs. Deux coachs internes pilotaient le programme en rencontrant les cadres pour évaluer leurs besoins et amorcer, une démarche d’apprentissage dans l’action. Ces deux coachs avaient aussi créé des ateliers de co-ressourcement qui ont permis aux cadres de partager leurs réflexions, leurs défis et leurs apprentissages de gestion.
Avec la fusion au sein du CHU de Québec, apparaissait une opportunité extraordinaire de combiner ces pratiques pour réellement offrir une gamme de services complètes aux cadres, autant pour répondre aux besoins de soutien dans la transformation que pour contribuer au développement des compétences des cadres.
Cadre de référence du leadership… et de l’approche coaching
Depuis 2012, l’accompagnement et le « développement des cadres » s’appuie au CHU de Québec sur deux approches: le leadership et le coaching. Nous avons choisi le leadership parce que ce concept s’adresse à la personne, à son savoir-être, dans son rôle de cadre. Il implique de travailler sur soi, pour être dans sa zone d’excellence et inspirer les collaborateurs à donner le meilleur d’eux-mêmes pour l’organisation.
Cadre de référence du leadership pour la relève et les nouveaux cadres : l’Atelier 90
Pour les nouveaux cadres, l’approche privilégiée par le CHU de Québec commence par un programme structuré de formation nommé « Atelier 90 ». La prise de fonction est une période délicate mais aussi décisive, durant laquelle « le nouvel élu n’a qu’une vision approximative des défis à affronter et des moyens à mettre en œuvre pour en triompher » . L’atelier 90 s’inspire des écrits de l’ auteur américain Michael Watkins ; il est piloté par les deux coachs internes au Service de gestion du changement et soutien à la transformation (direction des Ressources humaines). Le nouvel impétrant y apprendra à accélérer la transition, et à « accumuler les petites victoires », pour se créer un réseau, et pour « parvenir le plus tôt au seuil de rentabilité , à partir duquel, on devient un apporteur net de valeur ». Il comprend quatre modules (cf. encadré).
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– Les quatre modules de l’Atelier 90
• Module 1 : franchir le cap mental du nouveau rôle (diagnostic, définition des apprentissages nécessaires…)
• Module 2 : comprendre l’origine et l’utilité des orientations stratégiques de votre organisation, se les approprier, afin d’y aligner les objectifs du service, les utiliser comme levier de mobilisation ;
• Module 3 : identifier des défis à réaliser selon votre diagnostic du milieu et des orientations stratégiques ; identifier quoi et comment négocier avec votre patron ;
• Module 4 : développer votre capacité à influencer vos alliés et les acteurs influents ; dresser le bilan de vos apprentissages et définir les défis clés à relever dans les prochains mois.
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Cette formation est obligatoire pour les nouveaux gestionnaires, amenés à prendre conscience des opportunités et des zones de vulnérabilité qui les attendent dans leur nouvel environnement et à poser des actions concrètes pour accélérer et cibler leurs apprentissages dans les 90 jours de la prise de fonction.
Cadre de référence pour les cadres en fonction : le modèle de leadership de Kouzes et Posner
Il est fondé sur les cinq pratiques de leadership (cf. encadré) selon le modèle de Kouzes et Posner . Les grands leaders, nous disent ces auteurs, « remettent en question les processus, changent les mentalités et bouleversent l’organisation. Ils attirent des collaborateurs non pas parce qu’ils bousculent l’ordre établi, mais parce qu’ils respectent les aspirations de leurs collaborateurs. La gestion classique attire notre attention sur le court terme ; les leaders performants raisonnent sur le long terme. Les leaders ne contrôlent pas, ils permettent aux autres d’agir. » Le choix s’est porté sur le modèle proposé par ces deux auteurs, parce qu’ils mettent le leadership à la portée de tous, sous la forme de pratiques et de comportements que toute personne peut s’approprier en fonction de qui elle est, de ses forces et de ses limites. Les pratiques de leadership de Kouzes et Posner sont accessibles, peu importe qui vous êtes et quelles fonctions vous occupez dans le CHU de Québec.
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– Les cinq pratiques de leadership selon Kouzes et Posner
• Améliorer sans cesse les processus, en sachant prendre des risques, car le faux-pas est une occasion d’apprendre pour un leader qui cherche des défis ;
• Inspirer une vision à partager : le rôle du leader est de projeter un avenir engageant, qui va mobiliser les acteurs. Le terme de leadership, apparu au XXème siècle « est associé à la position du leader, mais seulement de celui qui est jugé « démocratique » . Au sens anglo-américain, le leadership ne saurait correspondre à l’hégémonie, comme l’indiquent en France le Larousse ou le Robert. Selon Guy Pelletier, de l’Université de Montréal, les études nord-américaines convergent sur le fait que « le leadership est la capacité de susciter la participation volontaire des personnes. Il s’agit donc de l’art de diriger au temps de la liberté …L’essence même du leadership repose sur cette composition complexe et personnelle de savoirs, savoir-faire, savoir-être qui n’est pas octroyée avec l’obtention d’un poste et qui relève de la capacité de prégnance qu’une personne peut avoir sur d’ autres, c’est-à-dire sur sa capacité à exercer des incursions dans les composantes sensibles, à la fois cognitives et affectives, de celles-ci, voire à modeler les schèmes d’interprétation de ces dernières ».
• Inciter les autres à collaborer (par son attitude) : le poste lui confie une autorité que le leader doit savoir mériter par son comportement. Une des premières questions que vont se poser les collaborateurs, c’est « est-ce que mon patron fait ce qu’il dit ? »
• Tracer la voie : pour se motiver, et motiver ses collaborateurs, le leader planifie de petites réussites qui aideront à poursuivre le chemin qu’il indique.
• Encourager les collaborateurs : c’est reconnaître les contributions individuelles, mais aussi, savoir fêter les réalisations d’équipe, selon un principe plus courant sur le continent américain qu’en Europe.
Une démarche individuelle
L’ensemble relève d’une démarche individuelle qui permet à chaque gestionnaire de personnaliser son plan de développement avec le soutien d’un coach, et des exercices d’apprentissage dans l’action. Dans cette perspective, les pratiques de leadership de Kouzes et Posner recèlent un univers de possibilités. Chacun est amené à travers ses défis quotidiens à induire de nouveaux comportements, de nouvelles postures, de façon à atteindre sa zone d’excellence, sa zone de confiance et à améliorer son leadership. Le CHU de Québec offre à chaque gestionnaire de prendre en main son propre développement, ses apprentissages et d’évoluer à son rythme dans cet univers de possibilités.
L’offre de coaching au CHU de Québec est en ce sens clairement axée sur le développement personnel et l’action : le coaching s’y définit comme « une relation personnalisée qui s’appuie sur des entretiens et des actions concrètes visant à développer des compétences nouvelles ».
Son but est de « permettre à la personne de réaliser son plein potentiel et d’atteindre plus efficacement ses objectifs personnels et professionnels, afin de réaliser des transformations, ou améliorer une performance. »
Le CHU de Québec bénéficie de deux coachs professionnels certifiés internes, Alain Jutras, cadre « physiothérapeute » , et Lucie Roussy, cadre infirmier de métier. Claude Poitras, coach indépendant, et ancien cadre de direction du CHU de Québec rappelle que le coaching a commencé au Canada anglais bien avant le Québec, voici environ 25 ans. « Ce n’est qu’un mode de développement sur un ensemble de possibilités, dit-il, mais je constate que depuis 2001, il y a eu quatre directeurs généraux au CHU de Québec, et tous ont maintenu le coaching interne dans l’établissement. »
Le coach est un accompagnateur qui permet de se remettre en question et d’envisager une autre approche possible : « est-ce que je ne peux pas trouver un autre positionnement, pour envisager d’autres possibilités, en vue de trouver mes propres solutions? ». Pour Claude Poitras, « quand je donne des conseils, j’attaque la personne dans son estime de soi : je lui lance le message ‘moi, j’ai la réponse’. »
Le coaching au CHU de Québec est un service offert à tout cadre qui désire entreprendre une démarche individuelle d’apprentissage dans l’action, ou qui transforme un défi en opportunité de développement. Plus encore, l’approche coaching est utilisée comme fondement dans les autres activités d’apprentissage par les pairs.
Apprendre entre pairs et apprendre une « attitude de coach »
Ces modalités d’apprentissage par les pairs se font au sein de groupes de co-développement, de co-ressourcement, et cercles de coaching.
Les groupes de co-développement professionnel
Selon Adrien Payette et Claude Champagne , les deux universitaires de Montréal qui ont mis au point cette approche, « le groupe de co-développement professionnel est une approche de développement… La réflexion effectuée, individuellement et en groupe, est favorisée par un exercice structuré de consultation qui porte sur des problématiques vécues actuellement par les participants… ». Six étapes permettent d’ observer différemment les difficultés rencontrées par un manager. L’objectif n’est ni de donner conseil à celui qui expose le problème, ni de lui trouver une solution, mais d’apprendre ensemble à réfléchir autrement pour augmenter les capacités d’adaptation et les possibilités d’action de chacun, donc accroître ensemble ses compétences.
Le CHU de Québec a fait le choix de privilégier une formule qu’il appelle « co-ressourcement ».
Les groupes de co-ressourcement
La différence majeure avec les groupes de co-développement, c’est qu’on n’est pas ici en recherche de solution. Ces groupes, dont la composition demeure identique d’une séance à l’autre, réunissent huit à douze gestionnaires. Dix thèmes ont été prédéfinis, en fonction des pratiques de leadership de Kouzes et Posner. A chaque rencontre, on évoquera un thème déterminé à l’avance par la DRHDPT, qui envoie à chaque participant une fiche préparatoire, avec un texte explicatif court, et quelques questions de réflexion utilisées pour lancer la discussion. Les deux coaches internes sont les animateurs et gèrent le processus ; ils exposent les règles (en particulier de confidentialité, d’engagement d’être présent et ponctuel, …) et les principes à respecter lors du premier atelier. Après avoir lancé la discussion en utilisant les questions de réflexion, ils agiront comme facilitateurs, en intervenant le moins possible dans les échanges.
L’approche coaching influence résolument la dynamique des groupes de co-ressourcement. En effet, le but est d’instaurer un dialogue, c’est-à-dire que la vérité, par postulat n’est pas une et indivisible, que les participants coopèrent pour comprendre, écoutent en vue d’émettre des hypothèses qui seront examinées collectivement, dans le respect des idées des autres, et sans jugement sur les personnes.
A la fin de chaque atelier, les animateurs demanderont à chaque participant de nommer une idée qu’il retient de la discussion. Ils noteront ces idées et en feront une synthèse qu’ils transmettront aux participants.
Les cercles de coaching
« Les cercles de coaching allient la puissance de l’apprentissage dans l’action (Action Learning) et le coaching intégral pour aider les leaders à faire face de façon créative aux défis auxquels ils sont confrontés, tout en leur permettant de développer les habiletés de coaching dont ils ont besoin au travail. »
Ce sont des groupes de gestionnaires, tous secteurs confondus, dans lesquels l’un d’entre eux expose une situation. Le feedback va permettre l’augmentation du niveau de conscience de la personne « coachée » et le groupe va amener cette personne à faire émerger une solution, après lui avoir posé des questions de coach.
Le groupe comprend cinq ou six personnes qui se rencontrent sur une base régulière ; les participants utilisent successivement un « temps d’antenne » en 4 étapes : (24)
– 1. La présentation de la préoccupation ou du défi (5 à 10 minutes),
– 2. La période « d’exploration collaborative »pour aider le client à aborder le défi avec un angle différent et à préparer son plan d’action (35 à 40 minutes)
– 3. Une période de réflexion, où chacun « s’intériorise » afin d’identifier ce qu’il a appris à propos de l’exercice, de l’organisation, et ce qui l’a frappé dans le processus (5 à 10 minutes)
– 4. Une période où chacun s’exprime sur ses prises de conscience et observations, et au cours de laquelle le client indique au groupe de quelle façon sa perspective s’est modifiée, et ce qu’il a l’intention de faire (5à 10 minutes)
On recherche une intégration entre connaissance de soi, relations interpersonnelles, comportements individuels, et rapports à l’environnement . Les participants y développent l’écoute active dans un climat de confiance mutuelle, pratiquent feedback et questionnement sans jugement : « chacun est l’expert de sa propre vie ».
Les gestionnaires accompagnateurs : formation et soutien d’agents diffuseurs de l’approche coaching
Le Service de gestion du changement et de soutien à la transformation de la D.R.H. du C.H.U. de Québec a lancé depuis un an et demi les « gestionnaires accompagnateurs », qui vont permettre de faire rayonner des valeurs du coaching dans l’organisation, à commencer par le respect de l’autre, l’écoute et l’empathie, cette « pierre angulaire de toute relation », qui permet de percevoir ce que l’autre ressent, sans faire siennes ces émotions. Le quotient intellectuel est acquis dans l’enfance, alors que « l’intelligence émotionnelle est pour la plus grande part apprise et continue à se développer au fur et à mesure que s’accroît notre expérience de vie ».
Revenir à soi, se connaître soi, comme le prônait Socrate ; s’efforcer le plus possible de faire abstraction de son système de valeurs et de croyances ; faire preuve d’empathie avec l’autre, sans pour autant tenter de l’utiliser à des fins personnelles ; prendre conscience qu’il y a autant de façon de percevoir le monde qu’il y a d’individus… autant de modes de penser que les accompagnateurs apprennent avec les coaches internes, après avoir passé par le groupe de co-développement, ou co-ressourcement, ou le cercle de coaching, avant d’ accompagner à leur tour deux à trois personnes du programme de relève des cadres. Ils vont ainsi pouvoir participer de cette valeur d’humanisme, inscrite par le C.H.U. de Québec dans sa planification stratégique.
En conclusion, il nous est apparu que l’ensemble des cinq C.H.U. ont en commun une forte préoccupation pour l’accompagnement de leurs personnels d’encadrement. La place du coaching à proprement parler reste limitée. Toutefois, l’expérience du C.H.U. de Québec, qui bénéficie de deux coachs professionnels certifiés internes, Alain Jutras, cadre « physiothérapeute » , et Lucie Roussy, cadre infirmier de métier est des plus intéressante, en ce que des liens sont tissés entre diverses pratiques, avec en toile de fond les principes de l’approche coaching.
Ce peut être un exemple pour des hôpitaux français. Une enquête menée durant l’ été 2014, auprès des C.H.U. de France nous a permis de constater que l’ensemble des 28 D.R.H. ayant répondu estiment que le coaching a un avenir à l’hôpital, alors même que 16 établissements n’ont aucune expérience du coaching, et que 7 ont connu moins de 5 coachings dans les 5 dernières années.
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