L’émergence du coaching dans les CHU français

L’émergence du coaching dans les CHU français

La ressource est encore peu documentée. Marie-Rose Van Lerberghe, directrice générale (2002-2006) de l’Assistance publique -Hôpitaux de Paris, venue du secteur privé, introduisit le coaching dans cette institution voici plus d’une dizaine d’années, en particulier auprès des cadres de direction. L’AP-HP compte aujourd’hui onze coaches internes formés et supervisés. En région, les CHU de Montpellier et Dijon, notamment, ont développé le coaching.

Le coaching se pratique dans de nombreux domaines. Nous en avons tous entendu parler, qu’il s’agisse du coaching de vie au coaching professionnel, en passant par le coaching sportif. Mais y compris parmi des responsables avisés, les représentations de sa réalité fluctuent.

Au risque d’en simplifier la définition nous avons repris, dans le cadre de l’enquête, celle de Wikipédia : à savoir un « accompagnement professionnel personnalisé permettant d’obtenir des résultats concrets et mesurables dans la vie professionnelle et/ou personnelle.«   

Ce qu’est le coaching, ce qu’il n’est pas…

Quant à ce qu’il n’est pas, il convient de rappeler que le coaching se distingue du mentorat, du tutorat, du conseil et de la formation. Mentorat et tutorat consistent – contrairement au coaching – en une transmission : le tuteur transmet ses savoirs en matière de process, méthodes et savoir-faire ; le mentor, lui, accompagne la réflexion d’un collègue moins expérimenté à partir de son expérience…

Le coach n’est pas le conseil, qui, expert d’un domaine, indique à son client ce qu’il convient de faire à partir du diagnostic d’une situation. Il n’est pas non plus le formateur qui apporte des connaissances, voire des savoir-faire ou savoir-être. L’art du coach est d’amener son client à la prise de conscience nécessaire au déblocage d’une situation afin de faire émerger des axes de réussite et un plan d’action. Ceci avec des indicateurs de résultats définis avec la personne coachée (et son supérieur immédiat s’il s’agit d’un coaching prescrit, donc en principe, avec contrat tripartite).

Le coaching individuel consiste en un accompagnement de développement au profit d’un client auquel on ne délivre pas de « recette ». Le coaching d’équipe vise, lui, à prendre en compte à la fois les individus et leur groupe d’appartenance dans le milieu professionnel, qu’il s’agisse d’un groupe permanent (comité de direction) ou d’un groupe-projet, à durée de vie limitée.

L’enquête et ses résultats bruts

Cette enquête d’une petite douzaine de questions fut adressée par messagerie informatique le 26 mai 2014, auprès des trente-deux groupes hospitaliers de la catégorie des CHR /CHU. Nous avons enregistré les résultats jusqu’au début de septembre, ce qui a permis d’obtenir les retours de trente-et-un établissements sur trente-deux, soit un taux de réponse de 97%.

Dix-huit établissements sur trente-et-un (58%), déclarent n’avoir jamais eu recours à un coach externe. Treize (42%) répondent par l’affirmative.

Le management est le motif premier de recours invoqué par les établissements. Soit pour un accompagnement à la prise de fonction d’un cadre, soit  le plus souvent –  pour une meilleure adaptation de son positionnement ou le renforcement de ses compétences.

58% des établissements ayant fait appel à un coach externe ont fait procéder à un coaching d’équipe, le plus souvent dans un contexte de difficulté d’adaptation au changement (réorganisation de services, fréquemment dans le cadre  polaire). Dans les situations de coaching individuel, 54% des hôpitaux concernés ont passé un contrat tripartite.

92% des CHU/CHR affichent une satisfaction par rapport au résultat des coachings commandités ; pour l’un d’entre eux, le processus est encore en cours. Tous se déclarent prêts à renouveler l’expérience.

Une pratique récente et encore peu développée

Lorsqu’il s’est agi de quantifier le nombre d’opérations de coaching, le résultat a montré le caractère encore embryonnaire de la démarche :

  • dix établissements (32% des réponses) mentionnent  n’avoir jamais pratiqué de coaching, au cours des cinq dernières années. Huit (26%) ne répondent pas à cette question, mais on peut déduire du reste de leurs réponses, pour la plupart d’entre eux en tout cas, qu’ils n’ont pas fait appel à cette pratique.
  • Si on y ajoute les établissements ayant déclaré moins de cinq coachings au cours des cinq dernières années, plus de 80% des CHR/CHU ont réalisé entre zéro et cinq coachings au cours des cinq dernières années.

Les réponses à la question « le coaching a-t- il un avenir dans le secteur hospitalier » sont toutes positives. Ceci sous toutes ses formes pour une majorité de réponses, les cadres supérieurs et cadres dirigeants faisant figure de candidats privilégiés.

Coaching ou formation ?

Bien que la définition succincte du coaching citée précédemment ait été rappelée en préambule de l’enquête, certains DRH considèrent parfois comme relevant du coaching  ce qui semble plutôt ressortir de la formation ou du conseil, notamment dans le cadre de la « nouvelle » gouvernance.

On ne perçoit pas toujours que le coach ne se situe aucunement dans la transmission de savoirs sur les procédures, méthodes ou savoir-faire. Non plus qu’il ne conseille dans des domaines d’activité où il n’a, le plus souvent d’ailleurs, pas d’expertise.  Le coach ne délivre pas de recette. Son art consiste à amener son client à une prise de conscience de nature à débloquer une situation, pour définir ensuite un plan d’action et des critères d’évaluation[1].

L’enquête montre que la frontière ne semble pas toujours claire entre  coaching et formation. Les hôpitaux ont par exemple eu à organiser un management de pôles impliquant le plus souvent le regroupement de services. Des médecins et cadres ont été amenés, dans ce contexte, à exercer de nouvelles responsabilités, impliquant des compétences qu’ils n’avaient pas toujours eu à mettre en œuvre dans leurs fonctions antérieures (l’intervention de consultants est citée dans le cadre de l’enquête, en évoquant par exemple « la diffusion d’expertise« ).

Le coaching pratiqué à titre individuel semble assez souvent l’être à des fins de renforcement de positionnement managérial, au profit de praticiens ou de cadres ayant éprouvé certaines difficultés dans la négociation avec leurs équipes, par exemple.

AP-HP : des coaches internes formés et supervisés

L’expérience la plus ancienne, nous l’évoquions dans l’introduction de cet article, est sans doute celle de l’AP-HP. L’institution compte onze coaches internes formés et supervisés. Pascale Finkelstein, chef de projets managériaux nous a indiqué, au niveau du siège, le nombre d’une trentaine de coachings par an. Ces actions sont menées par des coaches internes dont la pratique est identique à celle des coaches externes, avec contrat tripartite, référence à une charte du coaching et, prochainement, la mise en œuvre d’une grille d’évaluation pour le coaché et le n + 1. Les indications préalables les plus fréquentes résident dans le positionnement au sein de l’équipe ou le repositionnement d’une personne.

Le coaching d’équipe concerne plutôt des problématiques relatives au « comment travailler mieux ensemble« . L’AP-HP indique commencer  dans ce domaine, et souhaite également expérimenter le co-développement (enrichissement des pratiques managériales entre pairs).

Expériences en régions

Les pratiques sont variables au sein des CHU/CHR.

Le CHU de Montpellier a conçu un projet global. La responsable des parcours professionnels et des relations sociales, Valérie Gorrias-Gay, également chargée des relations sociales et des risques professionnels, pilote un pôle d’accompagnement professionnel et social. Ce pôle comprend une psychologue du travail, une conseillère en insertion professionnelle et un coach récemment formé.

En situation de restructuration ou lorsque des mobilités paraissent nécessaires, le pôle présente les prestations d’accompagnement. Les personnes concernées viennent à lui librement, en vue d’une réorientation ou d’un coaching qui peut précéder la définition du projet professionnel. Depuis deux ans, dans le cadre d’un contrat ANAP, quatre cents personnes ont été rencontrées pour un accompagnement au changement et vingt-cinq coachings réalisés. Sur ces vingt-cinq coachings, vingt étaient de nature « interne », et cinq « externes ». Un seul était un coaching d’équipe. Cette dernière catégorie devrait être amenée à se développer.

Le CHU de Dijon (trente-et-un coachings en 2013 ; trente-quatre sont enregistrés en 2014) avait d’abord utilisé la formule du coaching externe, à partir de 2009.  Depuis juillet 2012, date de création d’un pôle coaching, l’utilisation du coaching, introduite par Damien Patriat[2] s’est singulièrement développée, en cinq axes : le management, l’affirmation de soi, la communication, la sérénité au travail, et la connaissance de soi.  Lorsque la demande émane d’un cadre supérieur, il est fait appel à un coach externe.

Pour les autres cadres, l’établissement a constitué une équipe de cinq coaches internes diplômés. Formés à HEC ou en école de commerce, ils exercent cette activité environ 10 à 20% de leur temps. Au CHU de Dijon, les coaches ont certes un superviseur, mais ils s’engagent en outre à se soumettre à une psychothérapie durant leur formation.

L’introduction du coaching a été réalisée sous forme d’un coaching d’intégration, aujourd’hui quasi-systématique au CHU : chaque manager peut en faire la demande lorsqu’il accède à une responsabilité, ou après un cursus de formation. Une autre clef d’entrée peut être la proposition de la direction ou du supérieur hiérarchique. La coordinatrice du pôle coaching, Nadine Roux-Theveniaud, s’assure au préalable que le coaching est la méthode d’accompagnement la mieux à même de répondre à la problématique évoquée. Si le coaching est prescrit, il est impératif. Sous réserve bien entendu que la personne concernée soit volontaire. Un entretien tripartite est réalisé afin de fixer le contrat de coaching, également tripartite, et de prévoir les objectifs, les indicateurs, le nombre et le rythme des séances.

63 coachings ont été réalisés, 26 en externe et 38 en interne, répartis respectivement en 56% coachings de soutien/crise (leur nombre croît) et 44% en coachings de développement.

Il est fait appel au coaching d’équipe (cinq en 2013) en différentes situations : fusion d’équipes, conflit  interne, travail sur les valeurs, nouveau projet…Ce type de coaching était jusqu’alors réalisé en externe. Un premier coaching d’équipe en interne est en préparation.

Lors des Rencontres RH de la santé, le 30 septembre dernier, un cadre de santé du CHU de Dijon ayant bénéficié d’un coaching d’intégration a évoqué les aspects positifs du coaching. Selon lui, le coaching, espace de développement personnel, de réflexion, de prise de conscience, auquel il avait participé lui a permis :

d’initier et d’accepter son positionnement et sa posture,

de conserver et d’assurer ses valeurs d’ouverture, d’altérité, d’assertivité,

– de développer ses qualités et d’accepter ou dépasser ses « freins »,

– de contrôler et prévenir d’éventuelles dispersions, frustrations, appréhensions, voire des comportements néfastes (colères),

– d’adopter une prise de conscience et un recul indispensables à la fonction de manager.

Il a enfin ajouté qu’il avait reçu, de la part de son entourage un retour positif.

En conclusion, il semble que dans le contexte de changements perpétuels que nous connaissons, le coaching peut en particulier aider l’individu ou le collectif de travail  à retrouver un sens à sa fonction, à identifier sa part de responsabilité dans les difficultés, ou même à trouver des solutions innovantes et à accepter ses émotions et celles des autres. Il favorise l’intelligence émotionnelle des individus et permet de retrouver une certaine authenticité dans les relations au sein d’une équipe, voire d’un établissement.

Si le coaching est appelé à se développer, des freins subsistent néanmoins, du fait de certaines réticences des responsables (je les comprends d’autant plus que j’ai fait partie jusqu’à une période assez récente des sceptiques), mais aussi des obstacles financiers.

Or si la prise en charge des bilans de compétence est acceptée de façon si (trop ?) libérale dans le cadre du congé de formation professionnelle, pourquoi le coaching, ne pourrait-il pas bénéficier d’une prise en charge financière de la part de l’organisme collecteur (O.P.C.A.) ? En effet, il s’agit d’un moyen de développement personnel, de surcroît utile aux cadres en période de difficultés, ou de doutes, notamment dans des conjonctures de reconversion.

1.Lire sur le sujet l’article « Coaching et accompagnement du changement dans les CHU de la Belle Province », signé Martin Bergeron et Alain Brugière, paru dans n° 561 novembre-décembre 2014. www.revue-hospitaliere.fr

[2] Damien Patriat est coach, ainsi que consultant RH et management. Auteur avec Xavier Dutheil de l’article « Le coaching pour réconcilier travail, performance managériale et bien-être », paru dans n° 561 novembre-décembre 2014. www.revue-hospitaliere.fr

Alain BRUGIERE – coach certifié- ancien DRH des Hôpitaux universitaires de Strasbourg.

Commentaires
avatar de MARC MANOUGUIAN

L’approche d’Alain nous ramène à un point bien précis du cheminement de la pensée collective propre ( en grande partie) au milieu médical . Si nous ne sommes pas là, nous coachs, pour nous substituer à toute équipe médicale potentielle, et pour l’avoir déjà expérimenté de manière professionnelle , bien de ces équipes sont  »demandeuses » de l’accompagnement que le coach peut apporter. La  » pensée unique » qui réside , dans le monde médical , dans le fait que  » d’abord le clinique pour traiter et ensuite on verra  » reste aujourd’hui encore une source de  »tiraillement » chez certains praticiens qui n’osent , sauf en  » voix off » , pas exprimer le fait que dans leur parcours de formation ou une fois en activité, l’approche et la reconsidération que le coaching peut générer , leur fait défaut. Si nous remontons à Hypocrate, nous y retrouverons toute la sagesse du penseur qui n’omettait pas, lui , le fait de reconnaître que l’apport de domaines extérieurs au sien pouvaient aussi s’inscrire dans la notion de traitement de l’individu .
Si le coach n’a pas vocation à soigner , il trouve toute sa légitimité dans l’usage de pratiques et techniques qui vont permettre une reconsidération de certains aspects générant des pathologies , et par extension , faciliter parfois une réorientation vers des méthodes beaucoup plus en adéquation avec les différences structures d’un individu ( profonde, de référence et de surface ) qui , s’il ne lutte plus contre elles , les considèrera alors et permettra ainsi de réguler son homéostasie , rétablir son écologie personnelle et ainsi s’ouvrir le champs de tous les possibles.
Imaginons alors apporter par le coaching cette capacité à des équipes en prise directe avec des patients, à des praticiens alors convaincus qu’ils ne sont plus des contrevenants à la prestation de leur serment, et ainsi , au monde hospitalier qu’il ajoute un critère à son registre de connaissances en perpétuel mouvement, et nous ne serons pas loin, de manière bienveillante, de penser que nous coachs contribuons à apporter un axe supplémentaire à un domaine aujourd’hui objet de controverses . Nous ne révolutionnerons pas cet univers , mais nous y apporterons humblement une approche reposant sur des valeurs respectant l’ Humain et , comme étrangement , relevant des  » Sciences Humaines ». Il ne restera plus alors au législateur qu’a faciliter l’accès au coaching pour et par le monde professionnel . C’est ici que les OPCA ont un rôle de  »facilitateurs » à jouer et si nous nous référons à l’arrêté du 30 juin 2015 , il y a désormais une ouverture très claire en ce qui concerne le coaching qui était jusqu’alors  » banni » du vocabulaire de la Formation Professionnelle . L’évangélisation de nos pratiques peut paraître encore longue. La reconnaissance de notre activité passe aujourd’hui encore par ce vecteur…Mais elle reste encore un formidable moyen de sensibiliser les instances pour valider et faire bénéficier , même au monde scientifique, la pertinence du coaching tel que nous le pratiquons .

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