Biblio des coachs : novembre 2017

Biblio des coachs : novembre 2017

La rentrée bien entamée, je vous propose d’entrer directement dans le vif du sujet et de nous intéresser à un aspect fondamental de l’accompagnement en général, les émotions.

Ces dernières ont été analysées encore et encore et, en nous penchant sur les manières dont la psychologie s’est emparée de cet objet, nous pouvons distinguer quatre grands courants : l’approche Darwinienne (inutile de rappeler le nom de l’auteur), l’approche Jamesienne (du nom de William James), l’approche Cognitiviste et l’approche Constructiviste. Un psychologue formé et érudit ne manquera pas, je l’imagine, de trouver à y redire. Sachez que je tire ce découpage théorique de la communication de Randolph R. Cornelius, intitulée « Theoretical approaches to emotion », et donnée à ISCA Archive en 2000 (lien : http://www.cs.columbia.edu/~julia/papers/cornelius00.pdf). Amis et collègues psychologues, n’hésitez pas à compléter en commentaires si l’envie vous en vient !

Avec Darwin, donc, les émotions sont des phénomènes évolutifs qui ont pour fonction d’assurer la survie, elles sont donc le fruit d’une sélection de type darwinienne (1). Dès lors, nous expliquons l’émotion de la manière suivante : Environnement > émotion fruit d’une sélection naturelle ressentie > comportement.

Avec James, les émotions sont les expressions ou les réponses directes aux changements corporels perçus. Les émotions sont expliquées de la manière suivante : Environnement > Comportement > Perception > Emotion.

L’approche cognitive complète les approches antérieures puisqu’elle place l’explication entre l’environnement et la réaction, celle-ci étant le fruit d’une interprétation. Nous avons donc : environnement > interprétation > émotion/comportement.

Enfin, la perspective Constructiviste stipule que les émotions n’ont pas d’origine biologique, elles sont des productions culturelles et ont un sens uniquement quand rapportées aux normes sociales. Nous avons ici : Environnement SOCIAL > Interprétation (selon des normes) > émotions / comportement. Il est possible d’accoler un mécanisme darwinien pour expliquer la diversité des émotions ici.

Ce mois-ci, nous aborderons la question sous l’angle philosophique à travers l’œuvre d’Antonio R. Damasio, qui tente de réhabiliter la théorie des émotions de Baruch Spinoza (si vous souhaitez approfondir cette approche, je vous invite à consulter l’excellent article – en deux parties – de Ricardo Alatorre paru dans la Revue Européenne de Coaching n°2 et n°3 : http://revue-europeenne-coaching.com/numeros/n2-avril-2017/introduction-theorie-spinoziste-sentiments-1 et http://revue-europeenne-coaching.com/numeros/n3-juin-2017/introduction-theorie-spinoziste-sentiments2.

Je vous présente donc en bibliographie et dans l’ordre chronologique de parution Le sentiment même de soi et Spinoza avait raison.

(1) A ce propos, il convient de préciser ce qu’il en est. Contrairement à l’interprétation populaire qui confond en fait Lamarck et Darwin, et qui circule au sujet de la théorie de l’évolution de notre ami Charles, sa théorie de l’évolution correspond à l’énoncé suivant : la mutation génétique à l’origine de l’absence de défenses chez les éléphanteaux se répand parce que les éléphants porteurs de ce gène ne sont pas chassés. La théorie repose donc sur le hasard, et non pas sur une stratégie génétique telle que le propose Lamarck, dont l’explication à propos des défenses d’éléphants prendrait la forme suivante : de plus en plus d’éléphants naissent sans défenses pour protéger l’espèce et se protéger des braconniers.


Bibliographie

A première vue, il n’y a rien de spécifiquement humain dans les émotions, puisqu’il est clair que bon nombre de créatures non humaines ont pléthore d’émotions ; la manière dont les émotions ont fini par se conjuguer aux idées, valeurs, principes et jugements complexes dont seuls les humains sont capables a quelque chose de tout à fait spécifique ; c’est cette conjonction qui nous donne l’impression légitime que l’émotion humaine est spéciale.

Damasio A. R. (2002 [1999] : 51)

 

Antonio R. Damasio. Le sentiment même de soi. Corps, émotions, conscience. Odile Jacob. 2002 (1999)

Le but de ce livre, pour l’auteur, est de comprendre comment, en tant qu’individus, nous sommes en capacité de nous connaître, c’est-à-dire d’avoir conscience de nous-mêmes. Damasio étant neurologue de formation (et d’exercice), son effort de compréhension se porte sur les causes biologiques de cette prise de conscience, ou, dans ses mots, sur les « circonstances biologiques qui permettent cette transition cruciale » (p. 13) qui va de l’innocence et de l’ignorance de soi à l’état de connaissance. Ce qui nous intéresse ici, c’est le rôle des émotions dans le processus. Le point cardinal de son propos à ce sujet consiste à soutenir la position selon laquelle conscience et émotions ne sont pas deux entités distinctes, étant donné les résultats empiriques en neuropsychologie qui montrent une corrélation entre détérioration de la conscience et détérioration des capacités émotives. Il commence sa démonstration par la distinction entre « ressentir » et « savoir que l’on ressent » (p. 52). Nous pourrions donc distinguer un « état d’émotion qui peut être déclenché et exécuté de manière non-consciente », un « état de sentiment qui peut être représenté de façon non-consciente » et un « état de sentiment rendu conscient, c.-à.-d. dont l’organisme qui a simultanément émotion et sentiment prend connaissance » (p. 52). Vous retrouvez ici des phénomènes décrits respectivement par les approches Darwinienne, Jamesienne et Cognitiviste. Notons par ailleurs la distinction introduite par l’auteur entre sentiment et émotion.

Pour résumer le propos et la position de notre auteur sur la question, nous pouvons considérer le schéma suivant :

Antonio R. Damasio. Spinoza avait raison. Joie et tristesse, le cerveau des émotions. Odile Jacob. 2005 (2003)

Damasio poursuit sa réflexion et la spécifie en précisant son propos sur les émotions en ce qu’elles sont une variable importante de la connaissance de soi tel que nous l’avons évoqué plus haut. Ici, le but de Damasio est de corriger les théories classiques des passions humaines. Il trouve en Spinoza un allié de poids (et de circonstance). Les deux auteurs apportent en effet une correction à la conception traditionnelle des passions humaines en les rattachant davantage aux mécanismes du vivant : ils mettent l’émotion, entendue comme mouvement, avant le sentiment, le corps avant l’esprit. Spinoza affirme qu’esprit et corps sont deux manières de concevoir une seule et même chose, mais vis-à-vis de la subjectivité humaine, le corps vient avant, puisque par la philosophie nous en venons à nous rendre compte que nous sommes, avant d’être libres, prisonniers de nos passions (perspective intellectuelle qui n’a pu qu’intéresser Damasio dans sa quête de compréhension des mécanismes de la connaissance de soi).


Conseils de lecture

Le style de Damasio se rapproche en certains points de celui de Kahneman, que nous avons vu dans cette rubrique. Nous pourrions presque construire un type littéraire : le psychologue (ou neuropsychologue) américain à succès : il écrit à la première personne, conjugue commentaires d’expériences scientifiques et anecdotes humoristiques, passe rapidement sur la littérature existante et élabore un propos qui se veut révolutionnaire (ou en tout cas fondamental).

Evidemment, ce style est agréable à lire, et, dans le cas de Kahneman comme celui de Damasio, il est au service d’une réflexion approfondie et nécessaire. En l’occurrence, ces deux livres sont des incontournables aujourd’hui si vous vous interrogez sur les sentiments, les émotions, l’identité, etc.

Bonnes lectures à tous.

 

Sociologue
#SOCIOLOGUE #PHILOSOPHE #RECHERCHEETDEVELOPPEMENT #EMOTIONS #CROYANCES #RATIONALITE #ECOLOGIE #ETHIQUE #INSTITUTIONS #CONNAISSANCE
Commentaires
avatar de fred jozeau

bonjour

merci pour ces conseils de lectures .

j’ai découvert il y a peu de temps Antonio R Damasio . Cet auteur est a mon sens très accessible pour des personnes qui comme moi intéressent a  » l’émotion » . En ma qualité d’étudiant a la certification rncp ( coach professionnel ) chez linkup , j ai eu l’occasion de commencer des recherches dans ce domaine passionnant .
parmi ces recherches en tant que coach en devenir utilisant la maïeutique , comme disait socrate
de faire accoucher les  » âmes  » . j ai trouvé une étrange similitude entre la définition de  » l’âme » et  » l »émotion  » en tout cas pour ce qui concerne la mise en mouvement du corps . ces liens n’engagent que moi bien sur.
meci pour le partage
Fred

fred jozeau

21 novembre 2017

avatar de MANOUGUIAN MARC

Rappelons ici que les émotions sont à l’origine de notre perception du monde . Et par conséquent, que chaque mission de coaching va porter sur la construction du monde d’un individu selon ses propres émotions et donc l’impérieuse nécessité de les changer de manières professionnelles et bienveillantes afin de lui permettre l’atteinte d’objectifs qu’il s’est fixés. Subtile et pertinente puissance de la déconstruction à travers des techniques et théories relevant du domaine de la cognition , du constructivisme, de la psychosociologie et de bien d’autres encore relevant des Sciences Humaines et teintées aussi de Neurosciences , la redéfinition des émotions chez un individu , ou plus exactement la capacité offerte par le coaching de reconsidérer la nature de ses émotions et l’interprétation nouvelle qu’elle autorise une fois obtenue l’aptitude à redéfinir le message émotionnel , la déconstruction est ici elle même génératrice d’émotions. Les 4 émotions de bases sont les frontières de l’ Intelligence Emotionnelle  » d’un individu ( concept que nous pouvons aussi étendre au coaching d’entreprise ) . Le coaching permet de redéfinir certains messages reçus de ces émotions et d’ouvrir le champs des possibles à de nouvelles perceptions , alors génératrices de nouvelles émotions …et d’une connaissance et d’une définition nouvelles du monde de tout un chacun . Il n’est alors plus seulement utile de  »gérer » ses émotions mais bien de les accueillir , ne plus les combattre et les laisser alors guider pleinement et dans un espace de confort le cheminement vers l’atteinte d’objectifs nouveaux .

MANOUGUIAN MARC

23 novembre 2017

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